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Europe, terre de tolérance. Mais de quoi, au juste ?
Par Bernard Corcos
Article mis en ligne le 22 juillet 2004

En ce mois de juillet, le coup de chaleur de l’affaire du RER D, devenue en quelques jours une véritable affaire d’Etat, me laisse finalement une très désagréable sensation de brûlure. Marie, la jeune femme irresponsable qui en aura été à l’origine, n’y est pourtant pour rien. Non, ce qui m’atteint, dans ma conscience de citoyen français et dans ma conscience d’homme, c’est un fait d’une toute autre ampleur qui flotte juste sous la surface. Voyons.

Depuis de longs mois, en Europe et ailleurs, la résurgence de l’antisémistisme se fait très sensiblement sentir. Cet antisémitisme n’est plus, pour l’essentiel, d’essence nationaliste mais factuellement islamiste.

A Montréal, c’est la bibliothèque - lieu hautement symbolique de connaissance et de transmission - d’une école juive qui brûle.

En Belgique, à Anvers, c’est un jeune étudiant de yeshivah passé à tabac.

En Grèce, ce sont les déclarations antisémites à répétition de personnages politiques de premier plan.

En France, c’est un jeune juif qui se fait enlever dans un bus bondé malgré ses appels au secours, passer à tabac et voler dans l’indifférence générale ; ce sont les enfants qui se font caillasser à la sortie des synagogues chaque shabbat ; ici, c’est une jeune homme juif - pardon aux âmes sensibles - qui se fait assassiner à coups de canif et déchiqueter le visage à coups de fourchette, et dont la porte de l’appartement était régulièrement tagué de propos violemment anti-juifs ; là, c’est un étudiant juif qui frôle la mort après s’être fait poignarder par un « déséquilibré » ; ailleurs, dans ce métro parisien, c’est un homme âgé juif qui se fait cracher au visage et menacer de mort, devant des dizaines de témoins qui, là encore, ne bougent pas ; là, en plein cœur de Vincennes, c’est un homme juif sans domicile fixe passé à tabac, qui reçoit ensuite de la bière au visage puis, sous la menace, est contraint de se déculotter face aux passants. Imaginez la scène. J’en passe et des pires, je suis déjà sur le point de vomir.

Jusque là, durant tous ces longs et terribles mois où les juifs de France, d’Europe et d’ailleurs, recommencent à cacher leur étoile et à se faire montrer du doigt, pas un gros titre de presse, pas d’indignation nationale, pas de sursaut chiraquien. Rien que le silence ou tout comme. Comme le dirait Kassovitz dans « La Haine », jusqu’ici, tout est normal, jusqu’ici tout va bien.

Et puis, dans la moiteur lancinante de l’été, en quelques heures, tout bascule. Marie, une jeune femme de 23 ans accompagnée de son bébé, prétend avoir été sauvagement agressée dans le RER D, en plein jour, par six maghrébins qui l’auraient prise pour une femme juive. L’affaire éclate comme une bombe. La France sort de sa torpeur, il y aurait bel et bien sur le sol national un nouvel antisémtisme, appelons-le, à la suite de Pierre-André Taguieff, une nouvelle judéophobie. La veille, justement, le Président de la République avait pourtant appelé au sursaut de la Nation contre cette judéophobie et « contre tous les racismes », pour ne fâcher personne. Cinq colonnes à la une. Gros titres, manifestations en préparation à la veille de ce 14 juillet. Et puis stupeur, la supercherie est découverte. Marie, atteinte de mythomanie, a tout inventé. Et le soufflé de retomber. Et les cuistres cuistots de la presse d’y aller de leur plume acérée, lacérant « les excès de la dénonciation des actes ant-juifs ».

Cette brûlure qui persiste, c’est celle qu’inflige à ma dignité d’homme la Nation française lorsqu’elle ne sursaute - enfin ! - que lorsque c’est une femme « non juive  » qui est agressée « par erreur ».

Ce qui me brûle, c’est le lapsus de Jacques Chirac qui mentionne « des juifs, des musulmans, parfois même simplement des français », et qui me renvoie au lapsus de Raymond Barre au temps de l’attentat de la synagogue de la rue Copernic, en 1982, « un attentat odieux qui a voulu frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue et a frappé des Français innocents qui traversaient la rue  ».

Ce qui me brûle aussi, ce sont ces ministres grecs qui ne sursautent pas devant la résurgence galopante et bien factuelle de la judéophobie dans leur pays.

Ce qui me brûle encore, c’est que la Cour Constitutionnelle Fédérale allemande ose autoriser, au nom de la liberté d’expression, la tenue d’une manifestation pro-nazie dans les rues de Bochum, devant la synagogue détruite en 1938 durant la Nuit de Cristal.

Ce qui me brûle, décidément, c’est que parmi les dizaines et dizaines de murs érigés dans le monde pour séparer des populations hostiles, les Nations Unies ne se sont jamais saisies que de la clôture anti-terroriste israélienne qui a pourtant fait ses preuves en matière de sécurité, alors même que la Cour Suprême israélienne avait déjà déclaré cette clôture illégale en plusieurs endroits et fait interrompre sa construction et modifier son tracé.

Cette brûlure qui persiste me démontre que l’Europe est bien terre de tolérance : une terre où malgré les beaux discours et les réactions pseudo-humanistes, on tolère la haine de l’Autre, la haine des Juifs, ici au nom de la liberté d’expression, là au nom de la paix des cités.

Il y a quelques années, alors que je terminais mes études de droit international à Paris, un illustre professeur, Ambassadeur de France, me confia lors d’une conversation privée « vous savez jeune homme, ne vous y trompez pas, le droit international, ça n’existe pas ! Le droit international n’est fonction que de la valeur humaine des gouvernants ! ».

En Europe, en tout cas, je me le tiens pour dit.



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