Lorsqu’il « présente des excuses à ceux que ce personnage que je ne suis pas a blessés », Finkielkraut dénonce le Golem que Cypel a construit de lui pour le rendre haïssable
Le Monde, toujours aussi sûr de lui, savance même à titrer : « M. Finkielkraut sexcuse pour ses propos dans le quotidien israélien Haaretz » [lire larticle]. Or ce titre, qui induit les lecteurs du Monde à penser que le philosophe regrette ce quil a dit aux deux journalistes de Haaretz, na strictement aucun lien avec la vérité.
Ce sont au contraire les manipulations sémantiques du Monde que Finkielkraut stigmatise !
Sur Europe 1, cest davoir été « victime dun immense malentendu » dont le philosophe sest plaint, dénonçant « un assemblage où [il] ne se reconnaît pas ». Or, cet assemblage est en fait lamalgame de clichés pompés par Sylvain Cypel dans la longue interview de Haaretz et réalignés par ses soins dans un article quil a publié dans Le Monde du 23 novembre [lire larticle]. Le résultat de cette reconstruction de texte par Cypel, malhonnête et simpliste, renvoie à dessein limage dun penseur raciste ou même fascisant, aux convictions assurément méprisables.
Or donc Le Monde, lObs et Libération, agissant derechef comme les segments dun même media unique, annoncent triomphalement quAlain Finkielkraut, la victime de ce readers digest véreux, présente des excuses pour ce quil a affirmé aux Israéliens !
Comme ces arrogants sont loin du compte ! Le philosophe ne renie en aucun cas ses déclarations, il la affirmé à Stéphane Juffa il y a quelques heures, précisant quil ne concevait aucun grief à lencontre de ses interlocuteurs israéliens. Lorsquil "présente des excuses à ceux que ce personnage que je ne suis pas a blessés", Finkielkraut dénonce le Golem que Cypel a construit de lui pour le rendre haïssable. Impossible de sy méprendre, cest exactement ce que le philosophe déclare au micro dEurope 1 :
"Mais là, il s'agit de tout autre chose : du puzzle de citations qu'il y a eu dans Le Monde, surgit un personnage odieux, antipathique, grotesque auquel je n'aurais pas envie de serrer la main.
Et on me dit, là le cauchemar commence, que ce personnage c'est moi.
Je n'ai aucun rapport avec le personnage que dessine ce puzzle. Ce personnage, je le déteste comme tout le monde (...). Ce corps textuel, cette tunique de Nessus que je suis obligé d'habiter !
Le philosophe refusa d'ailleurs, au cours de l'interview dEurope 1, [écouter linterview] de "faire une autocritique d'un assemblage où (il ne se) reconnaît pas". Devant un Elkabbach agressif, qui na cessé dinterrompre grossièrement le philosophe à chacune de ses réponses, usant à lexcès du procédé de déstabilisation qui prétend donner la parole à linterviewé, tout en lempêchant de sexprimer librement. Et malgré ça, on a pu remarquer la patience et la ténacité dun Finkielkraut attaqué mais gardant parfaitement le cap de ses raisonnements.
A vrai dire, il suffisait de lire les réponses faites par le philosophe aux journalistes israéliens [lire larticle de Haaretz en anglais], pour se rendre compte quelles sont par trop élaborées et complexes pour constituer le corps dune gaffe spontanée que le philosophe pourrait avoir déplorée par la suite.
Que linterview de Haaretz soit critiquée avec autant de véhémence hystérique par les media franciliens, mais aussi quils lui accordent autant dimportance, et quils aient tous jugé inutile de la traduire, voilà qui renseigne autant sur leurs méthodes lapidatrices que sur leurs intentions.
Il importe au contraire de pouvoir lire paisiblement linterview quAlain Finkielkraut a accordée à Dror Mishani et Aurelia Smotriez avec beaucoup dattention. Elle est intéressante à plus dun égard et même remarquable, dans ce sens où ce nest pas tous les jours que lun des plus grands philosophes français de notre époque prend le risque de dire des choses qui sécartent des frontières de la pensée unique. Il nest pas nécessaire dêtre totalement en accord sur tous les points que soulève Finkielkraut pour relever le degré de consommation, la constance et le courage des propos de leur auteur. A des années-lumière de tout sentiment raciste, lauteur apporte un éclairage significatif et circonstancié, un regard dauthentique philosophe, sur les violences dont les banlieues françaises ont été récemment le théâtre.
La pensée unique du Monde, de Libération et du Nouvel Obs est hégémoniste et exclusiviste par définition ; elle ne saurait accepter de cohabiter avec dautres explications que celles dont elle gave le public. Dès lors elle se trompe, sastreignant à un manichéisme amputateur de pensées indispensables ; la pensée unique, pauvre, par choix des plus petits dénominateurs communs, et incapable dun regard suffisant sur des événements exceptionnels, réagit en imposant la conjonction alternative OU, sen servant comme dun outil à exclure ; à exclure tout ce qui ne lui ressemble pas et qui refuse de se soumettre à sa loi.
Cest de la conjonction de coordination ET, quil faudrait se servir, lorsque lon veut réellement appréhender la problématique qui nous envahit. Comme : "dans les banlieues règne lexclusion ; lascenseur social est en panne ET il importe de considérer au fond les remarques dun philosophe de la trempe de Finkielkraut pour creuser la réflexion".
Ce nest pas en collant ses plus grands penseurs au poteau dexécution intellectuel, ce en bidouillant lamentablement leurs propos, que la France sen sortira !
Il est vrai que dans linterview de Haaretz, Finkielkraut commence par expliciter au media israélien la tendance générale de la presse française à vouloir cantonner les causes de la révolte à une dimension socio-économique. Selon lui, le problème est bien plus vaste ET ne peut se satisfaire de cette explication réductrice (OU) ; cest pourquoi il invoque une composante ethnique et religieuse, déclarant que « la plupart de ces jeunes sont des noirs ou des Arabes, avec une identité musulmane ».
Une composante ethnique et religieuse qui est fort différente dune composante islamiste et aussi dun militantisme pro ethnique ou pro religieux, que Finkielkraut se garde bien dinvoquer. Ce qui nempêche nullement Laurent Joffrin, le directeur de la rédaction à lObs, dajouter ses pierres à la lapidation du philosophe en critiquant des propos que ce dernier na pas tenus : "je nai vu chez eux (les jeunes) aucune revendication religieuse ou culturelle qui évoquerait celles dethnies minoritaires et homogènes revendiquant des droits particuliers". Pur égarement de Joffrin
Même fourvoiement chez Michel Wieviorka, sociologue à l"EHESS, lui aussi convié par lObs à faire partie du peloton dexécution : « En tant que sociologue, je n'ai jamais entendu dire que ces violences aient été menées au nom de la cause "noire", "arabe" ou au nom d'une quelconque couleur de peau. L'interprétation de Finkielkraut ne correspond pas à la réalité. ».
Une nouvelle fois : où le philosophe a-t-il parlé dune cause ou dune revendication noire ou arabe. Il fait état dune composante, dun caractère ethnico-religieux, et cela na strictement rien à voir ! Et pour ne laisser aucun doute sur sa perception des choses, Finkielkraut rappelle que, "au contraire dautres, (il) na pas évoqué une Intifada des banlieues, et (il) ne pense pas que ce vocabulaire devrait être utilisé".
Le philosophe est également très rigoureux quant aux mots quil utilise, même oralement, ne laissant aucun espace pour des digressions fantaisistes du genre de celles de Joffrin et de Wieviorka : "Et, assurément, nous devons aussi éviter les généralisations : Il ne sagit pas des noirs et des Arabes comme dun tout, mais cela (son analyse) concerne certains noirs et Arabes. Et, cest sûr, la religion - non comme la religion, mais comme une ancre (un symbole unificateur) didentité, si vous voulez - joue un rôle. La religion telle quelle apparaît sur Internet, sur les chaînes de télévision arabes, tient le rôle dancrage didentité pour certains de ces jeunes".
A lObs on sen est donné à cur joie dans lexercice d « un mot pour un autre », arme dautant plus efficace quelle est utilisée de manière intensive [lire larticle]. Toutes les réponses du philosophe sont assorties de subtils petits mots assassins qui détournent le sens que lauteur leur avait donné.
Chaque ligne de larticle est une incitation à clouer Finkielkraut au pilori. LObs définit linterview comme « pour le moins surprenante, digne, selon les journalistes, dun dirigeant dextrême droite ».
Des exemples, en veux-tu, en voilà ! Une insinuation fallacieuse qui fait mouche par ci, lorsquon écrit qu « il [Finkielkraut] sen prend vivement aux noirs, aux Arabes et à lislam. ». Bis repetita par là au paragraphe suivant : « Le philosophe sen prend notamment, et vivement, aux jeunes musulmans des banlieues. ». LObs interprète allègrement les propos finkielkrautiens, affirmant que « Lécrivain sen prend vivement à lantiracisme ».
Décidément, ils nont que ces mots sous la plume ; mais lisez mieux, Finkielkraut ne sen prend vivement à personne !
Finkielkraut na pas tort lorsquil dit et redit qu « il est impossible, voire même dangereux, de dire ces choses (celles quil dit dans linterview) en France aujourdhui ». Preuve en est la plainte que le MRAP a décidé de déposer pour « incitation et provocation à la haine raciale » ; plainte que le MRAP a ensuite renoncé à faire valoir, saisissant probablement quil chevauchait vers un désastre juridique.
Auprès des journalistes dHaaretz, Alain Finkielkraut a abordé sans faux semblants des dossiers sensibles, comme celui de la faillite de lécole. Dune part, soutient-il, le système éducatif a démissionné de sa tâche de transmission des valeurs de la République, à commencer par lenseignement du respect, et a permis à certains dimposer une réécriture de lhistoire entre autres de lhistoire coloniale telle quelle est enseignée, selon des critères opposés à lhéritage culturel de la France. Dautre part, le rôle de lécole a été détourné de sa vocation première, qui est linstruction ; aujourdhui on attend delle quelle soit garante de débouchés professionnels, ce quelle ne peut être en aucun cas.
Lécole, dit Finkelkraut, navait pas pour but dêtre « agréable », mais de diffuser un savoir, denseigner un langage. « Au sein dune démocratie, il est difficile de tolérer des espaces non démocratiques. Tout doit être fait démocratiquement dans une démocratie, mais lécole ne peut pas être comme ça. ( ) Lasymétrie est flagrante : entre celui qui sait et celui qui ne sait pas, entre celui qui amène un monde avec lui et celui qui est nouveau dans ce monde. ». Lasymétrie entre le détenteur du savoir, lenseignant, et le récepteur de ce savoir, lélève, était logique. Aujourdhui, lécole républicaine a été remplacée par une communauté éducative horizontale plutôt que verticale. On a voulu insérer au sein de lécole la démocratie qui sy trouvait à lextérieur, et le résultat est que les maîtres ne peuvent plus enseigner leur programme scolaire.
La France peut-elle se passer de ces réflexions ? La France daujourdhui, soumise au vide par labsence délites dignes de se nom, peut-elle se permettre le luxe de marginaliser les Alain Finkielkraut, ou de finir de le "communautariser", comme ils disent ?
Le risque existe, car le media unique qui y fait la loi, concentré sur sa chasse aux sorcières de la différence, semble, à constater sa tentative de lapidation publique dAlain Finkielkraut, avoir totalement cessé de réfléchir