Le Hamas a réussi à « retourner  » les services israéliens en sa faveur à travers une ruse diabolique : « sacrifier  » des membres du Djihad islamique qu’il considère, de toute façon, comme des gêneurs. Les services israéliens sont parvenus ainsi à éliminer de nombreuses cibles avec une facilité grisante, mais en baissant leur garde à la frontière de Gaza
Le 31 aoà »t dernier, Yigal Carmon, l’un des meilleurs experts géopolitiques israéliens, sonne l’alerte : « Nous avons de plus en plus de raisons de penser qu’Israë l pourrait être confronté à une guerre en septembre ou en octobre.
Cela pourrait commencer par des heurts de plus en plus violents, ou l’utilisation d’armes nouvelles…contre lesquelles Israë l ne pourra pas répliquer par des mesures antiterroristes classiques.  »
Carmon énumère les éléments qui amènent les analystes israéliens à envisager de tels scénarios :
1. Sur la frontière nord, des « provocations du Hezbollah  », l’organisation chiite pro-iranienne qui domine le Liban. Notamment l’érection de tentes du Hezbollah sur le mont Dov, sous contrôle israélien depuis 1967, la destruction de caméras de surveillance au point de contrôle Fatima, des tirs sur des blindés israéliens, des tentatives pour restreindre la liberté de mouvement des casques bleus de l’Onu.
2. L’apparition en Cisjordanie de cellules terroristes cherchant à appliquer les tactiques utilisées à Gaza : mise en place de rampes de lancement de roquettes, percement de souterrains.
3. Des appels à des affrontements avec les Israéliens autour des Lieux saints de Jérusalem, notamment au moment des fêtes religieuses juives, du 15 septembre au 7 octobre.
4. Des concertations stratégiques de haut niveau à Beyrouth, entre le Djihad islamique palestinien, le Hezbollah libanais et l’Iran (représenté par son ministre des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian), en vue de « coordonner les luttes  » contre Israë l.
5. L’éventualité croissante d’une utilisation « d’armes nouvelles particulièrement létales  » contre les Israéliens, pouvant entraîner « un nombre sans précédent de victimes  ». Carmon ne précise pas la nature de ces armes.
Rétrospectivement, on ne sait si l’on doit admirer cette analyse, ou s’étonner de sa faille la plus flagrante : le Hamas n’y est pas mentionné.
Carmon, 77 ans, qui dirige aujourd’hui l’institut Memri, spécialisé dans l’étude des médias du Moyen-Orient, vient des services secrets. Il a servi, avec le rang de colonel, au sein du Renseignement militaire israélien, l’Aman, avant de devenir le conseiller spécial pour le contre-terrorisme des premiers ministres Yitzhak Rabin et Yitzhak Shamir. Il garde un accès privilégié avec ces milieux.
Aussi incroyable que cela paraisse, c’est cette proximité même qui l’amène à omettre le Hamas, et donc à éluder le scénario d’une attaque massive venant de Gaza. Car le Hamas a réussi à « retourner  » les services israéliens en sa faveur. A travers une ruse diabolique.
En mai 2011, une bataille de onze jours, qui n’est pas sans préfigurer la guerre actuelle, oppose le Hamas à Israë l. Une trêve est signée le 21 mai, grâce à une médiation de l’Egypte et du Qatar. Mais l’organisation islamiste laisse entendre, pour la première fois, qu’elle serait intéressée par un cessez-le-feu de longue durée. Israë l accepte la transaction.
Premier volet : une détente économique. Il fut un temps où la moitié des Gazéens travaillaient en Israë l. Les deux intifadas (1987 et 2000), puis l’arrivée au pouvoir du Hamas dans le territoire (2007), ont entraîné la réduction puis l’arrêt complet de ces emplois qui assuraient un important complément de ressources à de nombreuses familles. Le Hamas demande que de nouveaux permis soient accordés. Le 1er aoà »t 2022, un accord est conclu : près de 20 000 journaliers gazéens sont admis en Israë l. Un an plus tard, pendant l’été 2023, il est question d’augmenter ce nombre. Parallèlement, Israë l desserre le contrôle qu’il exerce sur les importations « civiles  » gazéennes.
Mais un deuxième volet va être décisif : une coopération sécuritaire. En question, le Djihad islamique palestinien (DjIP), une organisation islamiste rivale implantée à la fois en Cisjordanie et à Gaza. Le Hamas transmet aux services israéliens des informations qui leur permettent de déjouer des attentats planifiés par le DjIP, ou de punir des tirs de roquettes. Pas directement, mais par des intermédiaires palestiniens plus ou moins opaques qui travaillent eux-mêmes avec des agents « non-officiels  » israéliens.
Comme l’observe l’expert stratégique américain Edward Luttwak : « Il y a des techniques, sans doute difficiles et coà »teuses, pour repérer des agents doubles, mais pas pour réévaluer constamment les informations recueillies par des agents loyaux auprès de sources tenues pour fiables  ». Ce que les Britanniques avaient su exploiter pendant la Seconde Guerre mondiale, en « intoxiquant  » souvent le renseignement allemand. Le Hamas va se comporter ainsi pendant plus de deux ans. Grâce à son apparente coopération, les services israéliens déciment l’appareil du Djihad islamique avec une facilité grisante.
On veut croire, à Jérusalem, que le mouvement islamiste a opéré une révision stratégique fondamentale : il aurait fait le bilan de ses attaques infructueuses contre l’Etat juif, et chercherait désormais, au-delà de la trêve, à entrer dans le nouveau processus de paix initié par les Emirats arabes unis et soutenu par l’Arabie saoudite…
Le Hamas entretient savamment cette illusion. Ainsi, il s’abstient de participer aux réunions de Beyrouth à la fin de l’été. Israë l, qui a commencé à alléger son dispositif face à Gaza dès 2021, notamment en désarmant bon nombre de civils dans les villes et villages frontaliers, est tout à fait rassuré. Courant septembre, il transfère une partie des unités régulières du Sud en Cisjordanie et en Galilée, pour mieux parer à d’éventuelles attaques sur ces fronts.
Le réveil, le 7 octobre, est terrible.