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L’impasse politique pour les Juifs de France
Shmuel Trigano
Article mis en ligne le 9 mai 2017
dernière modification le 11 mai 2017

C’est en tant qu’observateur et non comme électeur que je développe l’analyse qui va suivre. Au moment où l’électeur se voit enjoint de choisir entre « le fascisme » et « la démocratie », prendre de la distance permet de mieux évaluer l’enjeu, pour revenir ensuite dans l’arène de ce choix qui est donc « bloqué ».
Or il semble que pour les Juifs - et sans doute la majorité des Français - le choix est entre Charybde et Scylla. Il semble que Emmanuel Macron sera un président par défaut, en ce sens qu’il sera élu non pour ce qu’il est mais pour ce qu’il n’est pas dans cette joute électorale.

L’origine du choix bloqué

Ce choix bloqué a toute une histoire qui découle de la stratégie de la deuxième présidence Mitterrand (1988-1995) qui, à défaut de « changer la vie » - un programme qui avait conduit le PS au pouvoir - inventa « le danger Le Pen », pour en faire le pivot d’une stratégie d’un « Front anti-fasciste ». Son objectif était de pulvériser la droite, sommée de choisir, justement, entre fascisme et République - c’est à dire le Parti socialiste - et de noyer dans un combat « antiraciste », infra-politique, la question que commençait à poser l’immigration avec « la marche des Beurs » .

Nous vivons aujourd’hui la fin du cycle de trente deux ans, inauguré par cette stratégie. Entre temps, cette machine infernale a, certes, détruit la droite mais aussi la gauche, qui vient de finir de se décomposer sous nos yeux, libérant le démon du gauchisme, le pendant du démon de l’extrême droite, les deux extrêmes convergeant de façon très logique sur de nombreuses postures communes. C’est désormais chaque électeur qui est l’otage de cette mise en demeure qui prend les aspects de la morale et de la survie. Ce qui est nouveau, c’est qu’elle n’ouvre plus sur le parti socialiste mais sur son implosion et sa métamorphose en la figure d’Emmanuel Macron et de son parti politique encore incertain. Le parti socialiste a dû se saborder pour survivre. Ce scénario est en effet en tout point confirmé par Hollande dans les propos recueillis par les deux journalistes dans le livre qui fit scandale, « Un président ne devrait pas dire çà » :

Tant qu’il y avait des partis de gauche, les communistes, les Verts qui acceptaient de faire alliance avec le PS et qui représentaient quelque chose, on n’avait aucun intérêt à refonder le PS , analyse le chef de l’État. Mais dès lors que ces alliés se sont rigidifiés, sectarisés, il faut faire sans ces partis-là. Comment ? Avec le parti le plus important, on en fait un nouveau qui permet de s’adresser aux électeurs ou aux cadres des autres partis. Ce que vous ne faites plus par les alliances, vous le faites par la sociologie. Par l’élargissement . C’est une œuvre plus longue, plus durable, moins tributaire d’alliances. Vous pouvez imaginer que viennent aussi des gens qui n’ont jamais fait de politique partisane, des gens du centre … »

Un quinquenat mouvementé

Il faut savoir qu’avec Macron (ou Le Pen), la déflagration, l’onde de choc de cette machine infernale ne s’éteindra pas. Elle va secouer la V° République encore longtemps, jusqu’à la détruire. La prochaine étape est proche, ce sont les législatives. Mais il y en aura une autre après ces dernières élections, la réaction à l’élection du candidat qui sera élu, quel qu’il soit.

Si l’élection de Macron évitera une crise économique - ce qui n’est pas négligeable -, elle n’est nullement synonyme de retour à la normale. La déflagration de l’implosion des partis dominants se fera entendre encore longtemps. Déjà il faut savoir de quelle nature sera la majorité parlementaire. Ensuite, se déroulera inéluctablement un troisième tour social avec l’entrée en scène des syndicats et notamment de la CGT dont on a vu la position dure à l’occasion du premier Mai, sans compter l’activisme dont « Les Insoumis » vont être les artisans, forts de leur sept millions de voix. Dans ce concert, n’oublions pas les décus du Front National qui resteront de moins en moins calmes au fur et à mesure que le temps passera. Un quinquenat très mouvementé va s’ouvrir.

L’impact pour la condition juive

Dans cette cacophonie, l’impasse est totale, spécifiquement pour les Juifs, auprès des deux candidats, des deux forces en présence. Pour en dessiner les formes, il faut définir leurs intérêts spécifiques en tant que Juifs, car c’est leur sécurité et leur condition en tant que tels qui ont été en question depuis exactement 17 ans, depuis l’apparition de ce que l’on a appelé le « nouvel antisémitisme ». En 2001-2001, le gouvernement Jospin avait décidé, en effet, d’occulter des centaines d’agressions antisémites pour ne pas - je cite Daniel Vaillant, ministre de l’intérieur alors et qui le révéla quelques années plus tard - « verser de l’huile sur le feu », c’est à dire ne pas nommer les agresseurs qui venaient des milieux musulmans de l’immigration, protéger leur identité, au prix de l’insécurité des Juifs. Au fond, c’est ce qu’impliquait la stratégie du front antifasciste : l’ennemi devait être Le Pen et les victimes les ex-colonisés. Il fallut plus de deux cents morts non juifs pour que la cible spécifique juive soit reconnue, quoique à peine car sans Charlie Hebdo, l’Hyper casher n’aurait été qu’un fait divers ce qu’avait dit, avec sa morgue hautaine, Mélanchon des assassinats commis par Merah.

Au lieu de combattre la source islamique des agressions, le Parti socialiste non seulement prétendit qu’il ne s’agissait pas là d’« actes antisémites », mais de « conflits inter-communautaires » quand ce n’était pas un « conflit importé », ce qui faisait ipso facto des victimes des coupables.

On imagina donc qu’il fallait que Juifs et musulmans « pactisent » pour faire la paix entre eux. Celà se fit avec force cérémonies, rencontres, suscitées par le Pouvoir, et la création d’associations de pactisation dont « Marseille Espérance » avait été la proue. Là où l’Etat aurait dû assumer son rôle régalien. A l’occultation de la menace antisémite, s’ajouta ainsi la communautarisation des Juifs, identifiés à une « communauté de l’immigration » selon la formule consacrée, ce qui induisit en erreur l’opinion sur la réalité des choses. Mais le fait que les Institutions juives assumèrent totalement le rôle que l’Etat leur impartissait, donnait une crédibilité à cette façade, au grand désavantage des Juifs. Au lieu d’identifer et condamner la source islamique de l’antisémitisme, la stratégie anti fasciste, imposa l’idée que sa provenance était « fasciste », c’est à dire située à l’extrême droite et donc lepéniste.

Aujourd’hui la cause expremment islamiste des attentats se trouve toujours occultée derrière toutes les divagations pitoyables concernant les « troubles mentaux »des meurtiers, comme si personne ne voyait que ces troubles ne gagnent que des musulmans ou de récents convertis à cette religion. Si tous les terroristes sont des « malades mentaux », tous les malades mentaux ne sont pas des terroristes... La cause est ailleurs.

Un syndrôme toujours à l’œuvre

Si je résume ce syndrome en 2 points, je dirais que :

  • La motivation islamiste du nouvel antisémitisme, qui met en question des milieux de la communauté musulmane, a été occultée systématiquement au prix d’un brouillage majeur des données de la situation. Elle n’a pas été sans effets profondément négatifs sur la condition et le statut des Juifs, désignés implicitement, tout au long des années 2000, comme des « co-agresseurs » de facto, complices du « sionisme », devenu une catégorie délirante (comme pout justifier l’inimitié islamique), sacrifiés comme citoyens à part entière ayant droit à la sécurité et à la justice, pour préserver la « paix civile », en fait la communauté musulmane.
  • La politique de la pactisation a abouti à communautariser encore plus les Juifs , à les dénationaliser de façon implicite, en les identifiant à de nouveaux venus en France, en délicatesse avec l’allégeance à la République (l’accusation de communautarisme).

C’est justement ce modèle qui est repris par les deux candidats, l’un pour le réprimer, l’autre pour le perpétuer, perpétuant ainsi la situation que j’analyse. Avec Marine Le Pen, c’est la communautarisation des Juifs qui devra être combattue, pour pouvoir éradiquer la comunautarisation islamique, avec tout ce qui la nourrit (le hallal comme le casher, le voile comme la kippa, peut être la circoncision). L’interdiction de la double nationalité complète le tableau en laissant entendre que les Juifs seraient originellement des Israéliens, des ressortissants étrangers donc. Pour les Juifs français qui jouissent de la double nationalité, la situation est aussi dyssimétrique par rapport à la double nationalité des immigants nord africains. Les Juifs français vivant en Israël conservent leur nationalité française à l’étranger, en Israël tandis que les Algériens par exemple, conservent leur nationalité algérienne non en Algérie mais en France. Par contre, le caractère islamiste de la menace est expressément ciblé et identifié (l’UOIF des Frères musulmans) par Marine Le Pen.

Avec Macron, c’est au contraire la communautarisation qui est programmée : il appelle expressément dans son clip électoral « les minorités à ne jamais négocier leur fierté » . C’est aussi l’anonymisation de la menace sécuritaire qui y est reconduite, comme aux beaux jours de l’hollandisme - allant même jusqu’à rendre la société française responsable du terrorisme - pour mieux éviter d’en nommer la source - en ce qu’elle n’aurait pas fourni aux candidats terroristes, « les enfants de la République » (sic) , les opportunités qui les auraient préservés de cette dérive. Nous retrouvons ici de façon caricaturale le modèle de pensée qui a conduit au bord de l’abime où nous trouvons. Nous tomberons avec Macron dans le multiculturalisme le plus débridé, dans le terreau duquel le nouvel antisémitisme est né et s’est développé. Il faudrait aussi signaler que la menace sur la casherout et la circoncision est d’abord venue d’une loi du parlement européen (sur la circoncision) qui a été bloquée mais qui a été votée à la majorité. L’engagement européen de Macron ne préserve en rien les Juifs d’un développementéventuel de cette menace.

Pour me résumer donc, du côté de Le Pen, les Juifs doivent disparaître comme communauté pour être en sécurité. Du côté de Macron, ils restent une communauté sans pour autant être assurés de la sécurité et de leur condition égale de citoyens (multiculturalisme et privilèges (la discrimination positive) obligent. Le fait que Macron ait cru bon de se recueillir au Mémorial de la Shoah pour cibler indirectement le fascisme du Front National n’est aussi pas très encouageant, car il accrédite à nouveau l’idée que la menace ne vient que de cette origine. Il annonce ainsi la continuité de la politique hollandaise bien connue (accusation de soi même pour expliquer le terrorisme, occultation du motif islamiste, politique de pactisation, pathologisation et dépolitisation de la menace islamiste, désignation de l’ennemi dans le fascisme, absence d’exigence de réforme de l’islam, etc).

Le retour de l’extrême gauche

Cependant, Macron et Le Pen ne font pas tout l’horizon. Il faudra que les Juifs fassent face à une nouvelle menace : l’apparition d’une extrême gauche qui, autant que le FN, a horreur des « banquiers » sans patrie (suivez mon regard !) et qui a adopté la cause palestinienne comme une figure de proue, en draînant derrière elle « les jeunes des quartiers » qui ne peuvent qu’être séduits par la volonté d’en découdre des Insoumis. La grande énigme, en fait, n’est cependant pas seulement de savoir ce que vont devenir et faire les Insoumis de Mélanchon après les Législatives, mais aussi le corps électoral du Front national qui se renforce au fur et à mesure de ses échecs et de sa stigmatisation. Mis au ban de la nation, descendra-t-il dans la rue, à l’instar de l’extrême gauche dont la campagne de Mélanchon a donné un avant-goût avec ses rassemblements massifs dans la rue ? Rappelons qu’à la fin du XIX° siècle le pont entre l’extrême gauche et l’extrême droite fut l’antisémitisme.

La situation est complexe mais pas désespérée.

  • À partir d’une chronique sur Radio J, le 5 mai 2017.


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