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Antisémitisme européen, les signaux alarmants
Georges Marion
Article mis en ligne le 7 mai 2004
LE MONDE | 05.05.04 | 14h09

La conférence sur l’antisémitisme organisée, les 28 et 29 avril à Berlin, par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) était à peine terminée que 127 tombes du cimetière juif d’Herrlisheim-Hasttatt (Haut-Rhin) étaient profanées, recouvertes d’inscriptions à la gloire du IIIe Reich et de sa politique antijuive.

On peut penser que l’acte, apparemment commis pour célébrer l’anniversaire de la mort d’Adolf Hitler, n’est pas non plus sans relation avec la réunion de Berlin, comme si ses auteurs avaient voulu répondre avec éclat à ce qu’ils doivent considérer comme une intolérable provocation. Mais, pour les associations juives qui, depuis quelque trois ans, dénoncent, avec plus ou moins d’écho, la vigueur de l’expression publique de sentiments antijuifs et la montée de leur corollaire que sont les agressions contre les personnes et les biens, la profanation d’Herrlisheim-Hasttatt constitue l’amère illustration que leurs mises en garde n’étaient pas superflues.

La réunion de Berlin aura au moins permis de constater sinon l’ampleur précise du phénomène, du moins son extension. La quasi-totalité des intervenants ont en effet signalé le retour dans leur pays, avec plus ou moins de virulence, de l’antisémitisme. Prix Nobel de la paix, Elie Wiesel s’est interrogé avec douleur sur ce recommencement, soixante ans après l’Holocauste, dont l’horreur, pensait-il, prémunirait désormais les juifs. Las ! il lui a fallu déchanter. « Le juif que je suis appartient à une génération traumatisée, a-t-il confié à son auditoire. Nous avons des antennes. Mieux, nous sommes des antennes. Et lorsque nous disons que les signaux que nous captons aujourd’hui sont alarmants, on ferait bien de nous écouter. » Le message est clair : comme le montre l’histoire européenne, l’antisémitisme ne touche pas que les juifs, mais concerne les libertés de tous.

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en juin 2003 l’OSCE avait tenu à Vienne ses premières assises sur le sujet. Durant deux jours, les représentants des 55 pays membres (l’ensemble des pays européens, les Etats-Unis et le Canada) avaient planché sur les législations en vigueur dans leurs différents pays, la responsabilité des gouvernements et de la société civile dans la promotion de la tolérance, l’éducation et le rôle des médias.

Les délégations avaient souligné le rôle de la loi, qui protège et poursuit, demandant une définition claire des éléments constitutifs du délit. De nombreux orateurs avaient évoqué l’explosion du discours xénophobe sur l’Internet et pointé le rôle des médias, reprochant notamment aux journalistes de ne pas toujours savoir éviter de mettre de l’huile sur le feu en rendant compte de « situations volatiles ». La plupart des orateurs, enfin, avaient appelé à une collecte systématique de données permettant de se faire une opinion précise sur l’ampleur d’un phénomène fortement « émotionnalisé » mais pas toujours statistiquement cerné.

Où en est-on près d’un an plus tard ? La conférence de Berlin a suivi les mêmes chemins que ceux parcourus un an plus tôt, présentant un tableau qui comporte de nombreuses zones d’ombre. Toutes les délégations ont, certes, vigoureusement dénoncé l’antisémitisme, mais peu nombreuses ont été celles en mesure de fournir des éléments statistiques susceptibles d’aider à apprécier précisément le phénomène.

DONNÉES FIABLES

Entre la nouvelle Nuit de cristal, que craignent les uns, et la sereine négation du problème, que décrivent les autres, il y a de la marge. Significativement, la principale décision prise par la conférence de Berlin concerne d’ailleurs la collecte et la centralisation de données fiables par le Bureau pour les institutions démocratiques et les droits de l’homme, organisme installé à Varsovie et dépendant de l’OSCE.

Encore faudra-t-il que chaque pays définisse ses critères d’observation et rende ses résultats compatibles avec ceux de ses voisins, afin de pouvoir établir des comparaisons, ce qui n’est pas une mince affaire.

Les « signaux » que perçoit Elie Wiesel n’en sont pas moins bien là. Un rapport écrit, l’année dernière, par deux universitaires berlinois à la demande d’un organisme spécialisé dépendant de l’Union européenne, l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC), avait cru pouvoir déceler la présence d’un « nouvel antisémitisme » chevauchant la vague du conflit israélo-palestinien (Le Monde du 1er décembre 2003). Le rapport n’avait pas été officiellement publié, au motif que les données sur lequel il s’appuyait étaient « incomplètes ».

Celui qui l’a suivi, publié en avril, conforte cependant les conclusions du travail précédent tout en affinant l’analyse. « Entre 2002 et 2003, nous constatons une montée de l’antisémitisme en Belgique, en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Grande-Bretagne, indique Beate Winkler, directrice de l’EUMC. En Autriche, en Grèce, en Espagne et en Italie, les discours sont inquiétants. » Selon l’EUMC, l’« ancien antisémitisme » s’exprime à nouveau, véhiculant les stéréotypes les plus anciens de l’antisémitisme européen : goût de l’argent, solidarité communautaire suspecte, complot mondial, exploitation financière de la Shoah, etc. Mais, phénomène plus récent, ces idées sont aujourd’hui reprises par des groupes sociaux, nationaux ou politiques qui leur étaient jusqu’ici étrangers.

INSTRUMENTALISATION

Réunies à Berlin en prélude à la conférence, plusieurs organisations non-gouvernementales ont ainsi présenté de multiples exemples du vieil antisémitisme européen, désormais largement repris dans la presse et les télévisions du monde arabe pour nourrir la critique de la politique israélienne. Des dérives identiques sont signalées en Europe, dans des secteurs politiques en principe immunisés contre l’antisémitisme, mais qui ne restent pas toujours insensibles à son instrumentalisation.

C’est ce que rappelait, en ouvrant la conférence, le président allemand, Johannes Rau, pour lequel « chacun sait que derrière maintes critiques dirigées contre la politique d’Israël durant la dernière décennie se dissimule un antisémitisme violent »

o ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 06.05.04



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