Si la remise du rapport sur l’intégration au premier ministre a fait l’événement, c’est parce qu’il montre au grand jour, et dans la perspective d’un plan d’action, le caractère de système des idées véhiculées couramment par le discours médiatique et une bonne partie des élites. Le rapport ne propose rien de moins qu’un programme conduisant la France à « se faire hara-kiri », autrement dit à mettre un terme à son existence en tant que France.
Ces cinq documents remis
à Jean Marc Ayrault et
postés sur
le site du gouvernement - ce
qui fit tout le scandale - méritent
le détour d'une
étude approfondie.
Ils mettent en forme la doctrine du
post-colonialisme. Après la décolonisation, soutient
cette idéologie,
les Etats coloniaux,
et donc la France, ont
continué à pratiquer
le colonialisme envers
les
populations immigrées
sur leur territoire,
c'est à dire les ex-colonisés
qui, malgré leur
indépendance, ont
suivi l'ancien
colonisateur replié
en métropole. Ce
colonialisme
se manifesterait aujourd'hui
sous la forme d'une
discrimination raciste, un fléau contre lequel
cette idéologie
appelle à se rebeller
en démembrant l'État
"postcolonial"
("la République") dont
ils sont devenus entre temps des citoyens.
C'est exactement
ce programme qu'on
entend dans la
dénomination même
du mouvement des "indigènes
de
la République".
Ce qui importe, en
premier, c'est de faire le clair sur ce jugement de discrimination. Si
la possibilité de racisme
est toujours
présente dans une société, peut-on
dire qu'elle est
structurelle en France? Si l'on
en juge par rapport aux demandes
dont ces
rapports se font l'écho, le critère semble être l'ampleur
de l'obtention par les ex-immigrés
de positions dans la politique
et la société.
Or, on peut douter
qu'il
s'agisse lÃ
d'un critère acceptable car la population "témoin" est
relativement récente
dans la communauté
nationale. On ne peut
imaginer que l'ascenseur
social aurait dû
favoriser
aussi rapidement
sa promotion. Le
processus propre
à la méritocratie démocratique
prend du temps et
rien n'est donné
sur le mode du "tout, tout de suite".
Le
deuxième critère relève de l'obtention de la reconnaissance identitaire. C'est
à ce niveau que l'argumentaire devient scabreux quand il conjugue
cette demande
avec l'accusation de discrimination. C'est le point
crucial. Si la reconnaissance doit aller à une
identité qui refuse les normes
de l'identité collective, la nation, à laquelle elle demande
l'hospitalité, elle
est ni réaliste,
ni acceptable à tous
les niveaux. Le fait d'immigrer
dans un pays implique
en effet un choix.
Si le
nouveau venu souhaite
rester "entre soi",
il a la possibilité,
justement depuis
la fin de l'ère coloniale,
de résider dans
un Etat-nation "Ã lui"
où la chose est
possible. Ce fut
même
le principe de
la fondation des Etats
postcoloniaux qui se fit sur la
base de l'exclusion des populations qui ne
satisfaisaient pas à leurs
critères (eux, clairement discriminatoires[1]).
Un
million de Français d'Algérie
ont connu ce sort en 1962 pour que les Algériens restent entre eux.
On ne voit pas la raison pour laquelle
la France adopterait une
autre posture pour ce
qui la concerne. Le fondement
de la morale la plus basique
est la réciprocité.
La séparation des populations postcoloniales
en vue d'une identité collective référentielle
propre à l'Etat
ne peut valoir
uniquement
pour les États post-coloniaux
et pas pour les Etats
ex-colonisateurs.
Avec la prégnance de la
nouvelle idéologie
dominante, le post-modernisme,
qui a identifié l'identité
nationale au fascisme,
la demande de reconnaissance des nouveaux venus
s'est trouvée séparée de la nécessité
de leur inscription dans
le modèle culturel
et national du
pays qu'ils ont
rejoint. C'est
là que se
niche la manipulation symbolique qui consiste à "construire"
le refus par les
immigrés des cadres collectifs
nationaux comme
une discrimination subie.
C'est le monde Ã
l'envers, en effet:
le résidant devient
étranger chez lui-même
et l'invité le maître de maison. C'est
le renversement
des lois immémoriales
de l'hospitalité, de la morale du don et
du contre-don, de la morale tout court fondée
sur le principe
de réciprocité. C'est
aussi, plus concrêtement,
l'habillage "moral" ( "l'antiracisme", la "lutte
contre la discrimination") d'un projet de pouvoir politique et idéologique
qui ne
se cache plus.
Les
implications de l'argumentaire postcolonialiste
sont gravissimes. Il fait de tout conflit
un conflit racial ou
ethnique en plongeant
la société dans
une
guerre civile identitaire
et
l'on peut craindre que la
critique des
conclusions de ce texte
par
François Hollande n'éteigne
pas l'incendie allumé
par ce discours
qui définit dangereusement
les enjeux de la situation actuelle.
*A partir d'une
tribune sur Radio J
(20
décembre 2013) et
Actualité juive (26 décembre
2013)
Pour de plus amples développements, consultez (téléchargez)
Controverses "Post-colonialisme et sionisme", n° 11, mai
2009,
http://www.controverses.fr/Sommaires/sommaire11.htm
[1] Il faut avoir des parents musulmans
pour bénéficier de la citoyenneté
algérienne par droit
de
naissance.