Sans savoir qui sera leur prochain patron, les fonctionnaires des service du Premier ministre israélien, continuent, certainement à travailler sur les incidences, sur le plan du droit international, de l’opération « Plomb fondu  » à Gaza. Deux dangers se profilent, en effet, à l’horizon : d’une part, l’ouverture d’une enquête par le procureur de la Cour pénale internationale et d’autre part, d’éventuelles poursuites devant des juridictions nationales.
Nous avons déjà évoqué la plainte d’organisations pro-palestiniennes, en émettant des réserves sur sa recevabilité. Mais cette plainte a été appuyée par des démarches entreprises par des officiels de l’Autorité palestinienne, dont faisait état, récemment, l’International Herald Tribune, dans son numéro daté du 11 février.
Plus précisément, l’Autorité (sic) palestinienne a, le 22 janvier, signé un engagement reconnaissant l’autorité de la Cour, ce qui a incité le procureur de la Cour à examiner plus avant la recevabilité de la plainte.
Pourtant, de notre point de vue, la recevabilité d’une telle déclaration pose problème du fait que l’Autorité (sic) palestinienne ne constitue pas une entité étatique, alors que le statut de la Cour pénale Internationale ne semble ouverte qu’aux Etats.
Reste la seconde menace potentielle, autrement plus « redoutable  », car elle est multiple, du fait que des poursuites pourraient être engagées devant des juridictions nationales de plusieurs pays.
Ce qui d’ailleurs, a, déjà , été le cas, dans le passé, en Grande-Bretagne et en Belgique, sans pour autant aboutir.
Ces poursuites mettent en jeu la question fort controversée, en droit international, de l’étendue de l’autorité d’un Etat d’exercer sa compétence juridictionnelle en matière pénale.
Certes, le droit pénal autorise la répression dans chaque pays des infractions commises sur le territoire national, ce qu’on appelle le principe de la « territorialité du droit pénal  ».
Mais, la question a été posée, dès le XVIIème siècle, de savoir si d’autres Etats que l’Etat territorial ont compétence concurrente pour engager des poursuites pénales contre les auteurs d’infractions, notamment s’agissant d’infractions particulièrement graves, qualifiées généralement de crimes.
C’est ce que l’on appelle, généralement, la « compétence universelle  », qui, à la limite, conduit certains Etats à s’autoriser à engager des poursuites quelle que soit la nationalité de l’auteur du crime, la nationalité de la victime et le lieu de commission de l’infraction.
C’est une telle compétence élargie que la Belgique s’était reconnu par une loi de 1993 s’agissant des crimes de guerre et, par une loi de 1999, sa compétence fut étendue aux crimes contre l’humanité.
C’est sur la base de cette législation, qu’en 2001, des survivants des massacres dans les camps de Sabra et Chatila, situés dans la banlieue de Beyrouth, déposèrent plainte contre Ariel Sharon et d’autres responsables israéliens, devant un juge d’instruction belge.
On se rappelle qu’en septembre 1982, alors que les troupes israéliennes occupaient Beyrouth, dans le cadre de l’opération « Paix en Galilée  », Ariel Sharon étant ministre de la défense, les Phalanges chrétiennes libanaises pénétrèrent dans les camps de réfugiés palestiniens et massacrèrent plusieurs centaines de personnes.
Une commission présidée par un juge de la Cour suprême d’Israë l, tout en reconnaissant que ces crimes avaient été commis par les milices chrétiennes, considéra que la responsabilité morale d’Ariel Sharon était engagée pour n’avoir pas prévu la tragédie. Ariel Sharon dut démissionner de son poste.
Malheureusement, avec une mauvaise foi évidente, dans les milieux hostiles à Israë l on s’obstina, de par le monde, à ne vouloir s’en prendre qu’aux Israéliens, ce qui conduisit, donc, à ce dépôt de plainte.
La Cour d’appel de Bruxelles, déclara, en juin 2002, les plaintes irrecevables, car les auteurs présumés ne se trouvaient pas sur le territoire belge.
En septembre de la même année, la Cour de cassation belge rejeta l’argumentation de la Cour d’appel, estimant que la présence sur le territoire belge n’était pas exigée par le droit belge, mais estima irrecevable la plainte contre Ariel Sharon, en raison de l’immunité de juridiction, dont il pouvait se prévaloir, étant, à l’époque Premier ministre d’Israë l.
Mais, la question restait entière une fois qu’Ariel Sharon aurait quitté ses fonctions.
Aussi, en juin de l’année suivante, à la suite de pressions internationales, le Parlement belge modifia la loi de « compétence universelle  », en exigeant qu’il y ait un rattachement direct avec la Belgique (en raison de la nationalité de l’auteur ou de la victime ou de la résidence de l’auteur, un étranger pouvant également porter plainte s’il résidait en Belgique depuis 3 ans au moment de la commission du crime).
Mais, les adversaires d’Ariel Sharon ne se tenant pas pour battus, la Cour de cassation, statuant sur la base de la nouvelle loi du 5 aoà »t 2003, relative à la poursuite des violations graves du droit humanitaire déclara irrecevables les plaintes en septembre 2003.
Notons au passage, qu’en 2002, la Cour internationale de justice (CIJ) saisie d’une plainte déposée contre la Belgique par la République démocratique du Congo, à propos d’un mandat d’arrêt délivré contre le ministre des affaires étrangères congolais, en exercice, ne prit pas position sur la question de la « compétence universelle  », alors invocable en Belgique et condamna la Belgique pour manquement à l’immunité de juridiction dont bénéficiait cet officiel congolais.
Mais, on relèvera le réquisitoire en règle contre cette « compétence universelle  », revendiquée par certains pays, que développa, dans une opinion individuelle, le président de la CIJ, à l’époque, le juge français Gilbert Guillaume.
Ce juriste considéra qu’il n’existait pas de « compétence universelle par défaut  » en droit international : autrement dit, il n’y a pas compétence juridictionnelle pour connaître d’infractions commises à l’étranger par des étrangers à l’encontre d’étrangers, lorsque l’auteur de ces infractions ne se trouve pas sur le territoire de l’Etat intéressé.
En réalité, il faut qu’il y ait une règle de droit international qui prévoit une telle compétence : ainsi en est-il de la piraterie maritime en haute mer, donc en dehors de tout territoire relevant d’un Etat. La convention des Nations Unies sur le droit de la mer, a en 1982, codifié ce qui n’était jusqu’alors qu’une règle coutumière.
Par ailleurs, depuis 1970, en matière de lutte contre le terrorisme international, la règle de la compétence universelle n’a qu’un caractère subsidiaire : l’Etat sur le territoire duquel se trouve l’auteur d’un acte de terrorisme doit poursuivre devant ses tribunaux, s’il décide de ne pas livrer (extrader) l’auteur d’un tel crime à l’Etat qui le réclame.
Dans la mesure où le droit national est subordonné au droit international, un Etat ne devrait donc pas étendre abusivement sa compétence juridictionnelle, sans rattachement avec son territoire.
Malheureusement, il n’y pas de recours automatique à un juge pour faire constater une violation du droit international.
Aussi, pratiquement, les juristes, tant des services du premier ministre que du ministère des affaires étrangères ont tout intérêt à se livrer à une étude exhaustive des législations pénales des Etats, sur le territoire desquels des officiels (civils ou militaires) israéliens seraient susceptibles de se rendre, dès lors qu’ils ne pourraient pas se prévaloir d’une immunité juridictionnelle.
Or, seuls les chefs d’Etat, ministres et agents diplomatiques se voient reconnaître une telle immunité.
Et Israë l ne reconnaissant plus la compétence de la CIJ, un arbitrage étant, par ailleurs, exclu, on voit mal comment, comment les autorités israéliennes pourraient venir « au secours  » d’officiels, pris au piège d’une compétence universelle édictée dans certains pays.
Même des protestations diplomatiques risqueraient de se heurter à l’indépendance de la justice au regard de l’exécutif, dans les pays démocratiques.
Donc, autant savoir sur quel territoire on peut mettre les pieds, sans risque.