Cela fait longtemps qu’il n’y a plus de miracles en terre sainte. Les deux semaines de vacances que je me suis octroyées à (…) [1] avec (…) [1] n’ont été bénéfiques que pour moi. J’avoue que j’étais en train de faire un début de déprime et que j’avais grand besoin de me mélanger à des gens qui vivent « autrement », pour ne pas dire, simplement, « des gens qui vivent ». Le contraste est absolument terrible. Là -bas, les personnes s’emploient à leur bonheur et à celui de leurs familles ; ils progressent, ils s’instruisent, ils s’activent à éloigner d’eux et de leurs proches tous les risques de malheurs. Ici, c’est comme si nous appelions sur nos têtes tout ce qui ressemble à la destruction, tout ce qui peut nous garantir que le laboureur et sa faux n’aillent plus voir ailleurs s’il reste des têtes à couper.
Et comme je les jalouse, au point d’avoir même imaginé m’installer là -bas et me vouer à oublier. Mais ça n’est pas si simple, la Palestine n’est pas seulement un pays, elle est aussi en moi. Ca n’est pas un espace géographique sur une carte, c’est aussi chacun de mes organes, de mes souvenirs, de ce qui me compose. C’est cette obligation et cette culpabilité qui me tenaillent et qui m’ont fait chèrement payer chaque minute de ces quelques journées d’oubli.
J’espère que les lecteurs de la Ména ne confondront pas ces quelques lignes avec des propos lénifiants, empruntés à la philosophie à quatre sous, que je déteste. Je me suis retrouvé comme un peintre qui ne peindrait inlassablement qu’un carré d’océan au large et qui chercherait des explications à l’inénarrable, dans la forme et la géométrie des vagues. Ce carré de mer, sans logique et privé de sens, mes amis, c’est mon pays et c’est mon peuple. Je sais bien que, tel le carré de mer, dont je conte les creux et les écumes, la Palestine et les Palestiniens n’ont plus qu’un mérite, qu’une certitude, ceux d’exister.
C’est peu. C’est insuffisant, même. Comment vous parler de ces enfants que j’aime, bien plus que je ne m’aime moi-même, des vieilles femmes qui ressemblent à ma mère et de la terre, de ma terre, alors que trop souvent, mon sang me fait honte, que j’ai besoin de dire pardon tout le temps, en voyant les crimes qui sont commis en mon nom, par ces anthropophages qui prétendent défendre ma cause.
Et puisque l’encre est chère, que l’inflation s’en prend aux mots, que les hommes n’accordent plus d’importance à la poésie et qu’ils n’ont plus le temps, permettez que j’aille à l’essentiel. Que je dise, à la face de ceux qui trouvent leur raison de vivre dans la diffusion du mensonge, que je n’ai jamais entendu parler d’une opération militaire qui soit plus légitime que celle entreprise par nos ennemis, ce matin, à Bet Hanoun et à Jabaliya. Croyez qu’il m’en coà »te, parce que je sais mieux que vous, que Jabaliya est un camp de réfugiés, comme presque toute la bande de Gaza, d’ailleurs et que mes frères et que des enfants sont, pendant que j’écris ces lignes, en train de payer de leur vie le prix de la logique dont j’ose dire le nom. Et il faut avoir connu la vie de réfugié, la misère d’entre les misères, pour avoir le droit d’en parler. Mais les Israéliens ne sont pas responsables, et la logique non plus. Il me reste la conscience d’écrire ce qui constitue pourtant une vérité évidente. Je vois dans cet exercice déchirant le témoignage nécessaire, qui m’évite de me fondre dans la horde des chacals, qui conserve mes attributs d’être humain. D’être humain palestinien.
Il faut le dire, alors, il faut qu’un Palestinien le dise et le sort veut que ce soit moi : Les tirs de missiles contre la ville juive de Sdérot constituent un double crime contre l’humanité. D’abord contre les habitants de ce lieu, qui ne nous ont jamais lésés de quoi que ce soit, qui se situent à l’extérieur d’un futur Etat de Palestine, selon toutes les discussions jamais menées depuis Oslo. Ensuite, contre tous les Palestiniens qui cherchent une sortie à ce conflit, autre que celle empruntant les chemins du paradis ou de l’enfer.
Evidence et vérité : Les juifs n’étaient pas à Jabaliya, ils n’y seraient toujours pas, si des tueurs issus de mon peuple, et leurs chefs, ne faisaient pas tout ce qu’ils ont le pouvoir de faire afin de forcer littéralement les soldats sionistes à revenir à Gaza. Le gouvernement israélien a décidé, au prix de tumultes politiques majeurs, de quitter prochainement toute la bande de Gaza. Ceux qui lancent des roquettes sur Sdérot et qui y tuent des bébés, ne veulent, à l’évidence, pas qu’ils s’en aillent.
Qu’on ait la décence de ne pas parler en ma présence de « cycles de violence » ou « de vengeance ». Ceux qui rapportent ces sornettes veulent que la guerre ne se termine jamais. Quand les dégénérés humanophobes du Hamas déclarent « venger par ces tirs les éliminations de leurs chefs Yacine et Rantissi », ils oublient que les tirs de Quassam avaient débuté au moins deux ans avant leurs morts et que c’était eux, qui en avaient instrumenté l’usage.
Il n’y a pas que le Hamas qui souffre de trous de mémoire, la bande au Vieux aussi. La Moukata de Ramallah fait à nouveau donner toutes ses trompettes pour annoncer un « nouveau génocide » perpétré par les juifs, à l’instar de celui de Jénine, qui n’a jamais eu lieu. Il faut, au contraire, admettre que nous avons la chance d’avoir à faire à un adversaire civilisé. Je devrais écrire « un adversaire unique », dans son degré de civilisation, si je veux représenter un tant soit peu la réalité. Toute autre nation aurait - ou alors j’ai mal lu les livres d’histoire - réagi aux assassinats collectifs et racistes de Sdérot en bombardant Bet Hanoun et Jabaliya à l’artillerie lourde. Toute autre nation que l’Etat hébreu, disposant des moyens militaires des juifs, n’y aurait laissé que des champs de cratères ! Les tueurs du Hamas et des autres hordes terroristes ne doivent ainsi leur survie qu’à l’indulgence de leurs ennemis et à leur engagement moral de sauvegarder les vies des personnes qui ne sont pas impliquées dans ces assassinats. Les Israéliens risquent l’existence de leurs soldats, en les envoyant dans la casbah de Jabaliya, toute étriquée, piégée et minée, tout comme ils risquent celle d’autres habitants de Sdérot, en choisissant ces moyens différenciateurs mais inaptes à éloigner durablement les Quassam des maisons de ceux qu’ils protègent.
Que ce soit Arafat ou les décideurs de Damas et de Téhéran, qui commandent directement au lancement des missiles, cette engeance ne veut ni de retrait israélien de Gaza ni de paix. Il n’est pas nécessaire d’être Jean Tsadik pour s’en apercevoir, il suffit d’observer ce qui se passe sur le terrain depuis quatre ans. A la suite de leur opération Rempart, les Israéliens avaient effectivement entrepris une manÅ“uvre de retrait total de toutes nos agglomérations en Cisjordanie. Les criminels de Palestine, avec le terroriste de la Moukata à leur tête, avaient alors déclenché une vague générale d’assassinats collectifs, depuis les trois premières villes libérées, afin de mettre fin à cette opération, qui pouvait effectivement mener à une solution de compromis.
Maintenant, ils font la même chose dans le nord de Gaza. Ils font revenir les tanks à l’étoile de David, qui les avaient quittées depuis longtemps, dans nos rues et dans nos villes. Ils tentent de renforcer l’extrême droite israélienne, en donnant du sens à l’argument : « le seul discours que ces gens comprennent (nous), c’est celui du canon ». Les tueurs lâches de civils israéliens et fossoyeurs de mon peuple oeuvrent pour la guerre perpétuelle, pour la sha’hada collective. Dans ce but, ils ne veulent en aucun cas que l’ennemi se retire de Gaza dans l’ordre et la négociation. « Si ça marche à Gaza, ça pourrait marcher aussi en Cisjordanie », se disent-ils « et c’est l’autoroute » (le terme est d’eux, je les ai souvent entendus le prononcer) « vers la solution des deux Etats distincts pour deux peuples distincts », à laquelle ils préfèrent nettement l’Armagedon islamique.
Moi pas. Je parle au nom de cette solution, parce que c’est la seule qui soit applicable. Parce que je veux que les enfants vivent, que mes enfants et ceux de Juffa vivent. Parce que la mort n’est pas une solution pour des êtres humains sensés. Parce qu’il existe des Palestiniens sensés, avec lesquels ils peuvent discuter et que je suis de ceux-là .
Notes :
[1] Sami, vieux camarade, pour ta sécurité, je ne peux même pas te laisser dire où tu as passé tes vacances ni avec qui. C’est dur, mais ça viendra ! S.J.
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