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Les « crimes d’honneur » dans la société palestinienne
Par : C. Jacob * - MEMRI Middle East Media Research Institute
Article mis en ligne le 10 mars 2010

Bien que la société palestinienne soit connue pour son progressisme, les crimes d´honneur àl’encontre des femmes n´ont pas été abolis. Le rapport ci-dessous décrit le problème ainsi que les débats dont il fait l´objet. Il n´y a pas de statistiques précises sur les crimes d´honneur dont sont victimes les femmes dans la société palestinienne, tous n´étant pas signalés aux autorités. Selon Lamiya Shalalda, représentante du Forum des ONG palestiniennes, onze femmes sont mortes en 2009 pour cause de crimes d´honneur commis en Cisjordanie et àGaza. Toutefois, selon l´Autorité indépendante pour les droits de l´homme, ce nombre était de treize [1].

Des juris tes tels que Zayyad Thabet, président d´un tribunal de Gaza, ont déclaré que depuis que le Hamas avait pris en charge le système judiciaire, suite au coup d´Etat de juin 2007, de nombreux crimes d´honneur n´ont pas même été portés àla connaissance des tribunaux [2].

Quelques cas de crimes d’honneur

Ci-dessous des extraits d´articles parus dans la presse palestinienne portant sur les crimes d´honneur en Cisjordanie et àGaza.

« Najla A., 24 ans, divorcée, a été étranglée par son frère, connu pour son fanatisme religieux, alors qu´elle se trouvait chez lui... [3] Najla était employée dans un commerce de Gaza, et [pour des raisons pro fessionnelles], s´était absentée pendant plusieurs heures, suscitant les ragots de son entourage. Son frère, connu sous le surnom de ´Cheikh,´ n´a pas pu le supporter. Une fois l’assassinat découvert, la police l’a arrêté pour l´interroger. Par la suite, des pourparlers avec la famille ont eu lieu, au cours desquels il fut murmuré àl´oreille d´un responsable de la police que l´affaire concernait seulement la famille, et que cette femme avait eu besoin d’une bonne leçon. Plus tard, ce fonctionnaire de police a reçu un cadeau : l´un des frères [de Najla´s] lui a offert 13 mètres de revêtement du sol pour sa maison. En conséquence, [le meurtrier] a été libéré de prison sans que personne ne proteste et sans que ne soient entendus ceux qui savaient que Najla avait besoin de son travail pour acheter les médicaments dont sa mère malade avait besoin. »[ 4]

Dans le cas d´un autre crime d´honneur, un père a tué sa fille, Ahlam, car elle aurait passé la nuit chez des garçons. L´assistante sociale qui avait été mise au courant de la situation d´Ahlam et qui a demandé àrester anonyme, a déclaré qu’Ahlam s´était plainte auprès d´elle de la rigueur familiale et lui avait dit craindre son père qui avait sexuellement abusé d´elle. Après l´assassinat, le père a déclaré : « Je lui ai dit que nous allions sortir manger un shawarma. Je l´ai conduit dans la voiture, nous avons consommé notre shawarma et j´ai mis les chansons qu´elle aimait. Elle ne se doutait [de rien]. Ensuite, nous avons roulé un certain temps, je lui ai demandé de sortir, mais elle hésitait. Quand elle a vu le couteau dans ma main, elle a demandé : ´Papa, pourquoi veux-tu me tuer ?´ Le père a bénéficié de la loi qui atténue la peine dans ce type de cas et a ainsi pu être libéré de prison, profiter des plaisirs de la vie et oublier la question posée par sa fille : ´Pourquoi veux-tu me tuer ?´ »[5]

Dans un autre cas, une mère a étranglé sa fille adolescente après avoir découvert que celle-ci avait été violée par son oncle quand elle était petite, afin de purger la honte. L´oncle est resté en liberté. Par ailleurs, un jeune homme a assassiné sa sœur célibataire parce que son ventre avait gonflé et qu´il la soupçonnait d´avoir eu des relations sexuelles. Il s´est avéré qu´elle était vierge mais que son abdomen avait enflé pour des raisons médicales [6].

Hamada, qui purge une peine de prison pour le meurtre de sa s ? ?ur, n´a exprimé aucun regret, ni manifesté le moindre intérêt pour le rapport médical ayant déterminé que sa sÅ“ur était vierge. Il a dit : ´Je me suis rendu àla police et il m´importe peu d´être condamné àla prison, même àvie, parce que je crois en ce que j’ai fait.« Le frère d’Hamada l´a soutenu en ces termes : »Je ne savais pas qu´il voulait l’assassiner mais je ne lui en veux pas. Aucun d´entre nous ne lui en a voulu. C´est la conséquence naturelle des actions [de ma sÅ“ur], qui étaient connues dans tout le voisinage."[7]

La plupart des femmes assassinées sont innocentes de ce dont on les accuse

Dans la plupart des cas, rien ne prouve que les victimes assassinées aient enfreint un quelconque code moral de la société arabe – seulement, leurs familles ont estim é que leur comportement était incompatible avec le code moral et les coutumes communément admises. Parfois, une simple rumeur concernant le fait qu´une femme ait parlé àun homme suffit àsceller son sort. Dans d´autres cas, « les crimes d´honneur » servent de prétextes àdes meurtres commis pour d´autres raisons, comme un conflit personnel.

Samia Habib, psychologue au Centre palestinien pour la démocratie et la résolution des conflits, explique : « Parfois, c´est une question d´héritage... Parfois, le père a commis des actes dévoyés contre sa fille et la tue dans le cadre d´un crime dit »d’honneur« pour couvrir son crime... La femme est le maillon faible. Elle est toujours coupable, même quand elle est victime d´un viol [...] La question de l´honneur est un point très sensible. Les familles ne cherchent pas de l´aide ; on ne peut pas arriver jusqu´àelles... » [8]

Des femmes palestiniennes au sujet des crimes d’honneur : « Elle méritait de mourir »

Il convient de noter que les crimes d´honneur sont tolérés par de nombreuses femmes. Dans l´un des ateliers de Khan Yunis sur le rôle des médias dans la couverture des crimes d´honneur, auquel 60 femmes ont participé, il est apparu clairement pour toutes les femmes présentes estimaient qu´une femme ayant fauté devait être punie de mort.

Une femme, revêtue d´habits traditionnels si pudiques que seule était visible la moitié d´un Å“il et d´un sourcil, a déclaré au sujet de l´une des victimes : « Elle méritait de mourir... Que cela serve de leçon aux autres femmes. » Lorsqu´on lui a dem andé si un homme coupable de transgressions similaires doit être puni, elle a répondu, après un bref silence : « Ce n’est pas grave, c´est un homme. » [9]

Contre les crimes d’honneur

Un responsable de l’Autorité palestinienne : il est nécessaire de mener une action diligente et énergétique sur plusieurs décennies

Omar Najjah, directeur du Département d´études de la Charia dépendant des tribunaux de la charia, a expliqué que la coutume des crimes d´honneur avait été assimilée par la société et qu’il faudrait des années pour l’éradiquer : "Le crime d’honneur d´une femme est une tradition sociale enracinée dans la jahiliyya [l´ère préislamique]. Il a pris racine dans l´esprit et la conscienc e de la société il y a très longtemps, et il ne peut pas disparaître de la culture en si peu de temps, [même] avec une campagne d’un an, de deux, trois ou même dix ans. Il faut une action assidue et énergique sur plusieurs décennies.

Le changement s´opère très lentement - et plus lentement encore quand tout le monde pense que c´est un commandement religieux qui est en cause, même si en fait il n´y a aucun lien véritable avec la religion. Il faut beaucoup de temps pour corriger cette vision des choses, et plus de temps encore pour la modifier et l´effacer des esprits et des consciences, mais il est essentiel de ne pas renoncer, ni désespérer, et de poursuivre ces campagnes qui s´opposent àce phénomène négatif, source de tant d’injustices [...] Les choses finiront par changer mais nous savons qu´en attendant, il y aura de nombreuses victimes."[10]

La complaisance àl’égard du crime d´honneur encourage la violence contre les femmes

Des religieux, des juristes, des journalistes, des politiciens et des sociologues ont exprimé leur mécontentement face àla loi telle qu´elle existe aujourd´hui, car elle apporte des circonstances atténuantes aux crimes d´honneur. Mustafa Ibrahim, militant pour les Droits de l’Homme àGaza, a déclaré que l´indulgence avec laquelle ces crimes étaient traités, et la légèreté des peines encourues, ne faisaient qu´augmenter le nombre de crimes d´honneur commis contre la femme dans les territoires de l’Autorité palestinienne. ´Ahed Abu Sayf, conseiller juridique au ministère de l´Intérieur du Hamas àGaza, a déclaré : « Les peines encourues pour crimes d´honneur varient de six mois àtrois ans, pas plus. Le juge prend en compte la coutume et la tradition, ainsi que la nature de la société et l´état émotionnel de l´accusé... »

Le procureur Nasser Al-Din Mihna a déclaré : « Il arrive que l´homme soit condamné àune peine de liberté surveillée ou considère le temps passé en prison [en attente du jugement] comme suffisant si [les juges] sont convaincus que le crime a été motivé par [l´honneur]. »[11]

Abu Saïd Al-Jabin, membre du panel des juges de la Cour d´appel de la charia àGaza, remarque : "Il ne faut faire p reuve d´aucune indulgence face àune personne ayant assassiné une femme avec préméditation... C´est àl´Etat de juger l´homme et la femme adultères. Aujourd’hui, dans la plupart des crimes sociaux, [le meurtrier] ne surprend pas [la femme en flagrant délit] et n’est pas victime d’une passion irrésistible ; les personnes se basent [seulement] sur des rumeurs.

Même si la femme avoue, l´homme n´a pas le droit de la punir. Une instance officielle doit être autorisée àappliquer la loi et àdéterminer la nature de la peine. Personne n´est habilité àfaire la loi, vu que la [prétendue] femme adultère pourrait être vierge, après tout." [12]

Le procureur Ashraf Jaber estime que la société ne comprend pas bien la loi : « Certains iront assassiner une fille juste parce qu´elle parlait avec un ami au téléphone ou marchait avec un homme étrange. Ils pensent que la loi est permissive àleur égard et qu´ils n´ont pas de comptes àrendre. C´est une interprétation erronée de la loi, et en particulier de la section 340, que beaucoup comprennent comme une autorisation de meurtre, pour n´importe quelles raisons, du moment qu´il s´agit d´une affaire d´honneur. » [13]

Un autre aspect du problème est la discrimination àl´encontre des femmes. Hassan Al-Jojo, président de la Cour d´appel de la charia àGaza, a critiqué le droit pénal de l’Autorité palestinienne, indulgent vis-à-vis d´un mari qui assassine sa femme pour l´honneur, mais non vis-à-vis d´une femme qui assassinerait son mari pour des raisons similaires [14].

Les dirigeants de l’Autorité palestinienne favorables àune modification de la loi

La centralité de la question des crimes d´honneur n´a pas été ignorée par les dirigeants de l´Autorité palestinienne. Le Premier ministre palestinien Salam Fayyad a déclaré : « L´Autorité palestinienne a su mettre fin àl´état de chaos, a reconstruit les institutions sécuritaires, renforcé sa capacité àimposer la souveraineté de la loi et àfaire respecter l´ordre public. Ces réalisations ont, dans une certaine mesure, réduit la violence et les crimes auxquels les femmes sont exposées, y compris les crimes dits ´d´honneur´. [Cepend ant] nous avons encore un long chemin àparcourir pour éliminer la violence faite aux femmes, assurer le respect de leurs vies et de leur statut et garantir la justice par la pleine défense de leurs droits. » [15]

Adnan Abou Omar, conseiller juridique du Président de l´Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, a tenté de rassurer les femmes et les organisations des Droits de l´Homme. Il a expliqué que « conformément aux directives du président, des travaux sont en cours pour modifier la législation afin qu´elle protège les femmes des crimes d´honneur en traitant ces derniers comme des assassinats. » [16]

Najat Abu Bakr, membre du Conseil législatif palestinien, a déclaré que le Conseil était responsable de l´augmentation du nombre de femmes assassinées pour l´honneur. Elle a espéré pouvoir diriger la Commission constitutionnelle du Comité législatif palestinien (CLP) ou en devenir membre en vue de modifier la loi et les règlements et de s´assurer qu´ils répondent aux besoins. [17]

Dans un article d´investigation, la journaliste Asma Al-Ghoul, elle-même harcelée par la patrouille de la pudeur de Gaza, écrit : « Depuis plu s d´une décennie, des organisations de femmes tentent de faire pression pour changer le code pénal, [notamment l’article] n° 74 de 1936, afin d´introduire un paragraphe spécifique àla question de la violence conjugale, dont de nombreuses femmes sont victimes, et d´assurer l´égalité entre hommes et femmes, stipulée dans la Loi fondamentale palestinienne. En 2004, le CLP a adopté, en première lecture, une proposition de modification du code pénal afin de le rendre plus juste pour les femmes, mais de larges secteurs de la société se sont opposés àla proposition, considérée comme »altérant l’équilibre des coutumes dans la société« . Après les élections du CLP de 2 006, les organisations de femmes espéraient vivement que la [modification du] code [serait adoptée] et mise en pratique, mais le chiisme entre le Hamas et le Fatah a fait que le PLC n´a pu se réunir. » [18]

Les religieux : Les femmes qui « forniquent » doivent être punies, mais personne ne doit faire la loi ; la racine du problème est le libertinage

Les instances religieuses qui ont débattu du sujet ont souligné que l´islam impose des condamnations aux femmes qui « forniquent », mais que nul n´est en droit de faire la loi en assassinant une femme soupçonnée de porter atteinte àl´honneur de la famille.

Ihab Al-Ghasin, porte-parole du ministère de l´Intérieur au sein du gouvernement du Hamas àGaza, a déclaré que même ceux qui collaborent avec Israë l doivent être jugés et qu´il est interdit de les assassiner.

Le président de la Cour d´appel de la charia àGaza, le Dr Hassan Al-Jojo, a estimé que la famille devait « agir avec modération et apporter une éducation préventive consistant àsurveiller fils et filles, àles interroger sur leurs retards et àsurveiller les comportements inappropriés. » [19]

L´intellectuel musulman Dwikat Saïd a déclaré que "la raison du crime d´adultère, àl´origine des crimes d´honneur, est le l ibertinage. Il n´y a pas de règles concernant les émissions télévisées satellite et les téléphones portables, susceptibles d´être mal utilisés. [Les jeunes] ont de mauvaises fréquentations, s´habillent avec désinvolture, et les parents négligent souvent l´éducation de leurs enfants. Telles sont les causes de ce mal [la liberté des moeurs], et si on s´en occupe, il n´y aura pas de maladie [...]

Il nous faut une éducation musulmane adéquate ; une réelle prise de conscience doit avoir lieu chez les parents et les enfants ; des limites doivent être posées àla mixité, et les enfants doivent être constamment surveillés. Les parents doivent être proches de leurs enfants et les écouter, afin de connaître leurs problèmes et de répondre àleurs besoins – et que ces enfants ne fuient pas leurs problèmes en se livrant àun comportement interdit." [20]

* C. Jacob est chargé de recherche au MEMRI.


Notes :

[1] Al-Hayat Al-Jadida (Autorité palestinienne), 14 décembre 2009.

[2] Al-Ayyam (Autorité palestinienne), 20 décembre 2008.

[3] Dans le présent document, les points de suspension indiquent une ellipse dans l´original. Les ellipses insérées par le MEMRI sont indiquées par trois points de suspension entre parenthèses.

[4] Al-Ayyam (Autorité palestinienne), 20 décembre 2008.

[5] Al-Ayyam (Autorité palestinienne), 20 décembre 2008.

[6] Sawt Al-Nisaa (Autorité palestinienne), 3 décembre 2008.

[7] Al-Qods (Jérusalem), 15 mai 2009.

[8] Sawt Al-Nisaa (Autorité palestinienne), 3 décembre 2009.

[9] Al-Ayyam (Autorité palestinienne), 3 décembre 2009.

[10] Sawt Al-Nisaa (Autorité palestinienne), 11 novembre 2009.

[11] Al-Qods (Jérusalem), 15 mai 2009.

[12 ] Al-Ayyam (Autorité palestinienne), 20 décembre 2009.

[13] Al-Qods (Jérusalem), 7 décembre 2008.

[14] Paltoday.com, 19 avril 2009.

[15] Wafa.ps, Al-Hayat Al-Jadida (Autorité palestinienne), 14 décembre 2009.

[16] Al-Hayat Al-Jadida (Autorité palestinienne), 14 décembre 2009.

[17] Al-Hayat Al-Jadida (Autorité palestinienne), 14 décembre 2009.

[18] Al-Ayyam (Autorité palestinienne), 20 Décembre 2008.

[19] Paltoday.com, le 19 avril 2009.

[20] Al-Qods (Jérusalem), 7 Décembre 2008.