Un point de vue qui ne sera jamais évoqué dans nos médias nationaux. Un journaliste palestinien revient sur les évènements de ces dernières heures. Mais, en Europe, on préfère parler de « 14 palestiniens tués par un raid meurtrier de l’armée Israélienne dont un enfant et des adolescents » sans autre précision. Les médias français sont ainsi assurés de ne choquer personne.
En principe, je devrais être ivre de joie à l’idée de l’évacuation prochaine de la bande de Gaza par l’armée et par les colons israéliens. J’ai consacré près de trente ans de mon existence à soutenir la création du premier Etat palestinien indépendant et, aussi loin que je cherche dans mes souvenirs, en fait, dès que, petit garçon, j’ai pris conscience de mon identité, je fus prêt à donner mon énergie et ma vie, au besoin, pour faire triompher l’émancipation de mon peuple.
De plus, mon pire tracas, celui qui servait d’argument central aux interminables débats que j’ai eus avec mes amis de Métula, c’était les implantations. Voir des bulldozers installer en quelques jours des villages de juifs zélotes, américains ou français, à quelques dizaines de mètres de nos villes centenaires m’a toujours rendu malade. Or voilà qu’un Premier ministre israélien, risquant le démembrement de sa propre majorité politique, semble de plus en plus décidé à intégrer ces gens en Israë l et à rappeler ses militaires sur l’ancienne frontière entre l’Egypte et l’Etat hébreu.
J’ai si souvent rêvé de cette situation - tout en étant persuadé qu’elle n’arriverait jamais - qu’en théorie elle devrait constituer l’un des plus beaux moments de mon existence. Sauf qu’à la veille de ce redéploiement, face aux mouvements que je constate, ce serait plutôt le sentiment d’un terrible vertige auquel je suis la proie. Sous la coupe d’un leader impotent, qui cultive l’anarchie et la corruption pour conserver ses pouvoirs, et à l’approche du départ de nos adversaires, c’est la loi de la jungle qui s’est imposée sur la presque totalité des territoires administrés par l’Autorité Palestinienne. Pendant que Dahlan et ses forces spéciales multiplient les règlements de comptes à Gaza, les groupes armés islamistes sont en train de lever une armée régulière dans les camps de réfugiés. C’est par centaines que ces partisans de la Charia entraînent des jeunes au métier de fantassin. En suivant ces signes, il n’est pas sorcier de saisir ce qui va se passer dès le départ du dernier soldat israélien. Le Hamas et le Djihad vont tenter de s’emparer du pouvoir par la force et, non contents d’imposer leur loi sur les malheureux Azatis, ils vont prétendre que ce sont eux qui ont fait fuir Tsahal. Ils vont présenter la décision de Sharon comme une victoire de la force et ils vont provoquer les Israéliens par des tirs de Quassam et autres mortiers, risquant la ré-invasion rapide de cette partie à peine libérée de la Palestine.
C’est exactement ce qui s’est passé lors du dernier repli majeur des Israéliens en Cisjordanie ; leurs soldats n’avaient-ils pas évacué Bethlehem, que déjà les tireurs du Fath faisaient des cartons sur les maisons du quartier juif de Gilo. Il existe, quelque part entre la paix des deux Etats pour deux peuples et la volonté de mener une guerre sans fin quelque chose d’éminemment inconciliable. Il faut alors considérer le sens de l’unilatéralité de l’évacuation de Gaza au contraire comme notre plus grande défaite, elle sous-entend que le monde entier, malgré toute la sympathie qu’il a pour notre cause, n’est pas capable de responsabiliser une direction palestinienne afin qu’elle tienne son rôle lors de négociations. Lors, même quand l’ennemi décide de tout abandonner - contrôle de la frontière à Rafah, trafic d’armes, implantations etc. - il n’existe personne de notre côté, ne serait-ce que pour assumer le maintien de l’ordre et pour éviter l’anarchie.
Au centre de ce tumulte, le Major Général Ghazi al-Jabali, le chef de la police à Gaza, officier incapable et inexpérimenté, choisi justement pour ces « qualités » par Arafat, ne sort pratiquement plus de son quartier général depuis son passage à tabac par les hommes de Dahlan. Plus effroyable encore, deux de ses policiers dont le chef suprême est Yasser Arafat ont été tués hier par l’explosion d’une voiture-suicide du Fath, dont le chef suprême est… Arafat. Parfaitement !
Ca s’est passé au point de passage d’Erez, par lequel transitent les travailleurs de Gaza assez veinards pour être autorisés à travailler en Israë l. Bien que d’un point de vue économique il est évident que privée de l’apport de leurs salaires Gaza ne peut pas survivre, le Fath, le Hamas et le Djihad islamique ont pris la décision stratégique d’obliger les Israéliens, à la longue, (qui ne demandent pas mieux) à fermer ce passage. Aussi, pour ce faire et depuis deux mois, les groupes armés de ces organisations multiplient les actes terroristes contre ce point de transit qui nous est vital. Hier donc, lors d’une action conjuguée des trois organisations terroristes, deux jeeps peintes aux couleurs de l’armée israélienne et arborant la lettre hébraïque tsadek (la lettre distinctive de « Tsahal » Ndlr.) se sont présentées au point de contrôle avancé de la police palestinienne. Ce point se situe à l’entrée de ce que les travailleurs nomment le koumi (manche en arabe), qui est en fait le début du boyau de sélection dans lequel ils doivent se présenter pour passer les contrôles et les fouilles. Mais là , le policier d’Arafat a bien fait son travail, se penchant vers le conducteur afin de vérifier le contenu du véhicule. C’est ce moment qu’ont choisi les kamikazes pour tout faire sauter. Ils ont tué les deux policiers et blessé vingt et un ouvriers palestiniens dont quatre grièvement. L’un des policiers était père de treize enfants, il venait de trouver cet engagement dans les forces de sécurité après sept ans de galère.
Une autre jeep, faisant partie du même commando, a foncé en direction des Israéliens. L’un de ses occupants a eu le temps de tirer une rafale de sa Kalachnikov mais les soldats israéliens, prévenus par la première explosion, ont abattu sans difficulté les agresseurs et la jeep s’est écrasée contre un mur.
Ce matin, les organisations impliquées dans cet acte d’autodestruction à tous les titres l’ont cependant revendiqué fièrement, précisant qu’ils continueraient à s’attaquer au poste d’Erez. Dans le fond, cette histoire ne veut plus rien dire du tout et il semble bien qu’Israéliens ou pas Israéliens, présence de colonies ou pas, occupation ou guerre civile, tous nos dirigeants célèbrent, avec une délectation toute pathologique, le sacrifice ad finem de notre peuple.