« Cette fois, s’il s’en sort, on parlera de véritable miracle médical ! » me dit très tôt ce matin, à la Moukata de Ramallah, le médecin qui m’avait permis d’annoncer, il y a tout juste un an, que Yasser Arafat souffrait d’un cancer avancé de l’estomac (voir « Le désordre n’est pas le désert »).
« On lui a fait une endoscopie hier, c’est catastrophique, je ne connais pas de traitement pour ce que nous avons vu » et le médecin d’ajouter, admiratif, « le temps qu’Abou Ammar a survécu avec son mal constitue déjà un demi prodige, surtout qu’il n’a cessé de refuser l’hospitalisation à Aman que nous lui indiquions. Il se sentait immortel », conclut l’homme de la Faculté.
Sur place, et avec l’accord des Israéliens, les équipes médicales affluent. Il s’agit surtout de Jordaniens, de Tunisiens et d’Egyptiens. Des chirurgiens et des cancérologues. Ils sont au moins quinze à son chevet et on attend encore cinq Egyptiens ce matin, comme si la guérison du raïs dépendait du nombre de praticiens.
Dans le même temps, la plupart des apparatchiks multiplient les déclarations insensées, avec palme à Nabil Sha’at, comme d’habitude, que j’ai entendu dire à des journalistes étrangers que l’état d’Arafat était dà » au confinement que lui ont imposé les Israéliens et qu’il vivait dans deux chambres, dont une chambre à coucher de dix mètres carrés. Se pourrait-il que Sha’at ne soit jamais entré dans la préfecture de Ramallah ? Ce genre de réactions, visant exploiter jusqu’à la maladie du « Vieux » à des fins propagandistes, me donne la nausée. Certes, les deux années de son cantonnement à la Moukata n’ont rien fait pour améliorer son confort, mais je puis vous assurer que les juifs ne lui ont pas inoculé le cancer.
Dans le bâtiment, on a construit l’hiver dernier un véritable hôpital, permettant même des interventions chirurgicales limitées. Les excellents cliniciens palestiniens, auxquels on aura préféré des confrères étrangers, font la tête. On se demande déjà qui prend les décisions et cela n’augure rien de bon pour la suite. Sur place, les personnalités palestiniennes, dans un ballet incessant, viennent rendre leur dernier salut au leader historique de « la cause ». Même Souha, qu’on n’avait pas vu aux côtés de son époux depuis des années est du voyage. Lui est tombé dans le coma depuis hier aux alentours de 14 heures.
Ca n’est guère le moment de se lancer dans des supputations politiques, il importe, selon notre tradition, de respecter l’honneur du patient et de ne pas perdre espoir, tant qu’il respire encore. Quand même, il faut se soucier de ce qui risque d’arriver et éviter l’éclatement d’une guerre civile, que tout le monde craint, à l’annonce de l’irrémédiable nouvelle. Ainsi, Abou Rodeinah, le valet de chambre-porte-parole de la Moukata, engage-t-il tout le monde à penser que le Vieux a nommé un triumvirat afin d’expédier les affaires courantes, dès qu’il a commencé à voir son état se dégrader. C’est faux. C’est de la récupe. Le Premier ministre, Ahmed Qureï, l’ancien Premier ministre - qui est également secrétaire général du comité exécutif de l’OLP - Mahmoud Abbas, ainsi que Salim al-Za’anoun, le porte-parole du parlement, se sont en quelque sorte auto constitués. Et c’est bien. Il s’agit de personnes respectables, jouissant de l’estime de nos ennemis et de nos adversaires et toutes clairement opposées à l’Intifada. Qureï et Abbas se trouvent en consultations permanentes, ils viennent même au chevet du malade dans la même voiture.
Ca n’est pas parce qu’Arafat est au plus mal que j’aurai l’hypocrisie de changer mon analyse à son égard. S’il n’est plus en situation d’imposer ses vues et son immobilisme sur la Palestine, les choses vont changer en profondeur. Jusqu’à Ariel Sharon, qui va trouver en face de lui des partenaires crédibles avec lesquels, selon les critères qu’il a lui-même fixés, il pourra reprendre les négociations de paix. Et puis le fameux retrait unilatéral de Gaza n’aurait plus lieu d’être unilatéral… Sans Arafat, il n’y aurait plus aucune raison logique de ne pas transférer le pouvoir dans la bande à des gens comme Qureï et Abbas.
Abbas, de plus en plus cité, dans l’antichambre de l’hôpital de campagne de la Moukata, pour devenir notre prochain président et Qureï, pour demeurer premier ministre.
Musique d’avenir, que tout cela, avec, en chemin et très prochainement, des torrents tumultueux à franchir vite. Et un méga problème que je distingue dans ma boule de cristal mais la décence m’empêche de vous en entretenir aujourd’hui. Je vois un gros détonateur chargé et il s’appelle Jérusalem. Mes explications suivront en temps opportun ou les événements vous le feront comprendre d’eux-mêmes.