Après avoir fréquenté pendant plusieurs années les allées du Palais des Nations comme militante pour les droits des femmes, l’historienne Malka Marcovich livre les secrets « d’une famille incestueuse » qui a entrepris, selon elle, un lent travail de sape des valeurs fondatrices de la Charte des droits de l’homme.
Qu’est ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?
Le déclic, c’est la Conférence de Durban sur le racisme, en 2001. Cela a été d’une violence incroyable. L’antisémitisme s’y est déchaîné sans complexe. Le droit des femmes, on n’en parle même pas. J’ai été horrifiée par le silence des uns, la complicité des autres, puis cette manière de faire croire qu’on gérait malgré tout la situation. Après cela, j’ai décidé de ne plus rester aveugle et de suivre de près le fonctionnement de l’ONU. Je l’ai fait pendant sept ans.
... Et le résultat est terrible. A vous lire, l’ONU est devenue une machine à « broyer les droits humains ».
Oui, c’est ce que j’explique. L’ONU est insauvable et ce qui se passe au Conseil des droits de l’homme en est le symbole. Les ONG sont censurées systématiquement lorsqu’elles n’ont pas elle-mêmes intégré l’auto- censure. Beaucoup ne prononcent plus le mot religion ou Tibet. On a vu comment ce Conseil laissait de moins en moins de place aux rapporteurs spéciaux. Les experts indépendants ont été mis sous tutelle au prétexte qu’il existe un nouveau mécanisme, appelé Examen périodique universel (EPU), qui est une énorme farce.
Pour vous, les démocraties ont donc capitulé ?
Il y a une diplomatie de façade qui nous fait croire qu’on défend des valeurs, mais en réalité se fabriquent à l’ONU les discours et la propagande totalitaire de demain. Il n’y a qu’à regarder le fonctionnement de ces nouvelles structures type alliance des civilisations où il n’y a plus d’opposition possible. L’idée qu’il faut toujours arriver à un consensus camoufle une prise en main des mécanismes onusiens par des régimes totalitaires et la faillite des démocraties.
A quel moment les choses ont basculé ?
Durban marque un tournant mais le problème est plus ancien. La faille essentielle tient au fait qu’il n’y a pas de définition de la démocratie dans la déclaration des droits de l’homme.
Vous dites dans votre livre que cela a conduit à un glissement sémantique...
Aujourd’hui, chaque pays donne sa définition de la démocratie. Même le terme « universel » a perdu de son sens d’origine. Cette guerre des mots a permis, par exemple, de faire glisser le débat sur le blasphème vers un débat sur la diffamation des religions. Au final, cela amène l’ONU à considérer que les droits sont relatifs selon les cultures. De la même manière, on ne parle plus de censure des médias mais de responsabilisation des médias.
Ce n’est pas rien de soutenir une telle thèse. Est-ce que cela ne vous a pas attiré des ennuis ?
J’ai des amis proches avec qui un froid s’est installé. J’ai conscience que certains sont pris en otage et qu’ils ne peuvent pas scier la branche sur laquelle ils sont assis. Etre à l’ONU, c’est aussi un moyen de gagner sa vie. Puis, tout cela se passe à huis clos dans un microcosme. On n’a pas trop envie que ça transpire à l’extérieur.
Les Nations Désunies. Comment l’ONU enterre les droits de l’homme, chez Jacob Duvernet.