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Le CRIF interroge le Mouvement Juif Libéral de France.
Propos recueillis par Marc Knobel
Article mis en ligne le 14 octobre 2005

« Francis Lentschner, Président du Mouvement Juif Libéral de France : « Lorsqu’on nous parle de dialogue et d’avancée sur le chemin de la paix, nous ne pouvons que nous en satisfaire, nous qui oeuvrons tant, derrière le rabbin Daniel Farhi, pour le dialogue judéo-musulman, ici, en France.  » »

Francis Lentschner, Président du Mouvement Juif Libéral de France : « Pour définir le MJLF, je voudrais citer un sermon du Rabbin Daniel Farhi, qui date de 1973 : « Dans un petit matin glacé, j'avais été appelé pour dire les prières à un enterrement. C'est quelque chose de courant pour un rabbin, mais il y avait cette fois un fait qui sortait de l'ordinaire. Il s'agissait d'un petit garçon de six ans, tué dans un accident de voiture. Il y avait aussi un autre fait qui sortait de l'ordinaire: aucun autre rabbin n'avait voulu se déplacer pour cette petite âme, parce que, si son père était juif, sa mère n'était pas juive. » Au MJLF, nous portons sur ces enfants un regard qui n'est pas celui-ci. Un enfant de seule mère ou de seul père juif est accueilli chez nous comme tout autre enfant juif, sous réserve que ses deux parents veuillent l'éduquer dans le judaïsme. »

Question : Pourriez-vous nous expliquer comment le MJLF s'est créé ?
Réponse :
Le Mouvement Juif Libéral de France est né en 1977 d'une scission avec l'Union Libérale Israélite de la rue Copernic. Trois personnalités décident alors de créer une nouvelle communauté : le rabbin Daniel Farhi, Colette Kessler, directrice du Talmud-Tora, et Roger Benarrosh qui deviendra président fondateur du MJLF. C'est d'ailleurs lui qui insiste pour que le mot « Mouvement » figure dans le nom de l'association naissante. Car c'est bien ainsi qu'il la conçoit : une communauté, certes, mais militante. Militant lui-même au sein de toutes les instances de la grande Communauté, il est notamment aujourd'hui vice-président du CRIF.

Derrière ces trois figures, une vingtaine de familles se mobilisent créant un embryon de communauté, célébrant les offices dans l'appartement de l‘un, occupant les bureaux de l'autre.... Nomade durant quatre ans, le MJLF élit domicile dans le quartier de Beaugrenelle et construit sa synagogue en juin 1981. C'est alors la première maison communautaire qui sort ainsi de terre à Paris depuis le début du siècle grâce à des dons privés.

Les vingt familles des premiers jours sont très vite devenues dizaines, puis centaines, puis plus de mille... Le charisme du Rabbin Daniel Farhi, l'excellence pédagogique de Colette Kessler et la vision de Roger Benarrosh ont fait leur Å“uvre...

Question : Qu'est ce que le MJLF aujourd'hui et qu'elle est son actualité ?
Réponse :
Le Mouvement Juif Libéral de France réunit aujourd'hui près de 1 300 familles autour de ses valeurs d'ouverture et de modernisme. Trois rabbins (Daniel Farhi, Gabriel Farhi et Stephen Berkowitz) animent ses deux centres communautaires du 15ème et du 20ème arrondissement de Paris. Poussé par la demande, nous ouvrons un nouveau lieu d'étude et de prière à Sceaux, dans la banlieue sud de Paris et nous avons engagé une élève rabbin du Hebrew Union Collège de New York.

En dehors de la vie religieuse, c'est l'étude qui rythme la vie du MJLF. Plus de 370 enfants fréquentent notre Talmud-Tora et 300 adultes suivent les cours, conférences et débats organisés par ce qui est devenu aujourd'hui un Beit Hamidrash, une véritable université de la connaissance. Le programme que nous proposons recèle une richesse qui dépasse, et de loin, le cadre du judaïsme libéral. Ainsi, cette année en plus de nombreux intervenants, nous ont rejoint Marc-Alain Ouaknine, qui tentera de répondre à la question « Qui est le Messie ? », et Serge Klarsfeld qui nous racontera de l'intérieur les grands procès de Cologne, de Barbie, de Touvier et de Papon. Par ailleurs, le MJLF anime dorénavant un magazine bimensuel le mercredi sur Radio Communauté Judaïque FM. Par ailleurs, nous vous invitons à consulter notre site Internet www.mjlf.org.

Le MJLF est tout à la fois une communauté et un Mouvement qui entend faire partager ses convictions : un judaïsme moderniste mérite sa place au sein de la grande Communauté.

Question : Une récente enquête du FSJU -«Les juifs de France, valeurs et identité», réalisée en janvier 2002 auprès d'un échantillon de 1132 chefs de famille- montre que le nombre de mariages mixtes augmente globalement. 30% des Juifs célèbrent un mariage mixte. Et chez les jeunes de 18 à 29 ans, ils sont 38 % à épouser un(e) non-juif, contre 31 % en 1988. Cette progression se fait surtout chez les jeunes issus de familles peu pratiquantes. Comment percevez-vous cette question et quelle réponse le MJLF apporte-t-il ?
Réponse :
Cette statistique n'a rien d'étonnant. Sachant que nous, juifs, ne représentons qu'à peine 1% de la population française, il est naturel que de nombreuses idylles naissent entre juifs et non juifs. Que faire alors ? Il y a ceux qui condamnent. Et puis il y a une autre approche : la nôtre. Celle de la compréhension et de l'accompagnement. Bien entendu, le MJLF ne célèbre aucun mariage mixte. Mais il accepte l'idée qu'un homme ou une femme choisisse de se convertir au judaïsme par amour. Le parcours est alors le même, quel que soit le motif de la conversion : dix-huit mois à deux ans de participation à la vie communautaire, de cours hebdomadaires, de rencontres avec les rabbins, et d'assistance régulière aux offices de Shabbat et des fêtes, Certains choisissent, face à une demande de conversion, d'en faire un parcours semé d'embûches. Le judaïsme libéral a choisi d'accueillir et d'aider ceux qui décident d'emprunter ce chemin, de toute façon long et difficile. Avons-nous raison ou tort ? Plus de deux siècles d'histoire du judaïsme libéral tendent à nous donner raison. Il suffit de voir ces dizaines, ces centaines de familles au sein desquelles le judaïsme s'est transmis de génération en génération, que chaque génération soit celle de juifs de naissance ou de personnes ayant fait le choix de rejoindre la famille des enfants d'Israël. Au MJLF, nous pensons que le judaïsme se transmet tout autant par l'étude que par le « sang ».

Question : Les enfants issus de ces mariages éprouvent quelquefois des difficultés à se situer et ils peuvent être rejetés. Selon vous, quelle structure pourrions ou devrions nous offrir à ces enfants ?
Réponse :
Permettez-moi d'abord pour répondre à votre question, de vous lire quelques lignes d'un sermon du Rabbin Daniel Farhi, qui date de 1973 : « Dans un petit matin glacé, j'avais été appelé pour dire les prières à un enterrement. C'est quelque chose de courant pour un rabbin, mais il y avait cette fois un fait qui sortait de l'ordinaire. Il s'agissait d'un petit garçon de six ans, tué dans un accident de voiture. Il y avait aussi un autre fait qui sortait de l'ordinaire: aucun autre rabbin n'avait voulu se déplacer pour cette petite âme, parce que, si son père était juif, sa mère n'était pas juive. » Au MJLF, nous portons sur ces enfants un regard qui n'est pas celui-ci. Un enfant de seule mère ou de seul père juif est accueilli chez nous comme tout autre enfant juif, sous réserve que ses deux parents veuillent l'éduquer dans le judaïsme. Il suit sa scolarité au Talmud-Tora comme les autres enfants. Et si seul son père est juif, alors ses études au MJLF et sa bar ou bat-mitsva le font entrer de plein pied dans ce judaïsme qui est désormais le sien.

Question : Pourquoi et comment le MJLF est-il ouvert à la cité, à la société civile et notamment aux autres religions ?
Réponse :
Le MJLF vit dans son temps. Il s'ouvre donc sur tous les sujets qui agitent son époque. Et notamment, parce que nous vivons des temps de tension entre religions, il lui apparaît fondamental d'Å“uvrer au dialogue, à la connaissance mutuelle, indispensable préalable au respect réciproque. Depuis toujours, le MJLF et ses représentants comptent parmi les grands animateurs des Amitiés Judéo-Chrétiennes de France. Et puis la première Guerre du Golfe est passée par là, premier signe de notre entrée dans une nouvelle ère : celle de la confrontation de l'Occident avec le monde arabo-musulman. Il apparaît au rabbin Daniel Farhi, entouré d'homologues et amis chrétiens et musulmans, qu'il est impératif d'entrer parallèlement dans une ère de dialogue et d'échange. Voilà pourquoi nous accueillons depuis lors, chaque année au mois de mars, une soirée inter-religieuse au cours de laquelle, dans notre synagogue, juifs, catholiques, protestants et musulmans discutent, chantent et prient tous ensemble. Il faut avoir entendu au moins une fois résonner la mélodie de sourates du Coran dans une synagogue... Et puis le père Emile Shoufani a décidé d'emmener juifs, chrétiens et musulmans, ensemble, se recueillir à Auschwitz et le rabbin Daniel Farhi l'a accompagné. Depuis, chaque année, le jour de Yom HaShoah, des lecteurs musulmans participent à notre lecture des noms des déportés juifs de France aux côtés de chrétiens qui, déjà, nous faisaient l'honneur et l'amitié, à l'image de Monseigneur Jean-Marie Lustiger, de participer à cette commémoration si émouvante.

Question : Quelle est votre position sur le désengagement Israélien à Gaza ? Soutenez-vous la création d'un Etat palestinien ?
Réponse :
Nous avons pour principe, au MJLF, de ne pas nous substituer au peuple israélien et notre position est d'apporter un soutien indéfectible à l'Etat d'Israël. Nous le prouvons en organisant chaque année un voyage pour nos jeunes et un voyage pour les membres adultes du MJLF. Lorsqu'on nous parle de dialogue et d'avancée sur le chemin de la paix, nous ne pouvons que nous en satisfaire, nous qui oeuvrons tant, derrière le rabbin Daniel Farhi, pour le dialogue judéo-musulman, ici, en France. Nous ne pouvons qu'approuver le courage politique du premier ministre Ariel Sharon, et rendre hommage aux valeurs morales de l'ensemble du peuple Israélien qui a permis ce désengagement indispensable et tragique.

Question : Quels sont selon vous les périls qui menacent le peuple Juif ?
Réponse :
Lorsqu'on nous parle d'assimilation, nous répondons intégration. Vous évoquiez tout à l'heure la douloureuse question des mariages mixtes et des enfants qui en sont issus. Je crois que c'est en fermant les yeux sur cette réalité qu'on fait peser le plus grand danger sur la pérennité du peuple juif. Nous avons choisi une autre voie...

Question : Votre vœu le plus cher ?
Réponse :
Sur le plan communautaire, ce qui me tient le plus au cÅ“ur, c'est l'unité du Peuple. Mais l'unité dans l'acceptation de l'altérité. Je souhaite, j'espère que notre Communauté va comprendre que seule sa diversité fait sa richesse. Que fondamentalement le judaïsme est modernité, évolution, discussion. Que seule son ouverture le rend universel. Que le Judaïsme libéral est un courant respectable du judaïsme religieux, qu'il puise sa force dans les paroles et les textes les plus vénérables de notre tradition. Mon vÅ“u le plus cher, c'est que le Mouvement juif libéral de France soit reconnu et respecté pour ce qu'il est : une partie importante et dynamique de la communauté juive de France.