Ce 13 avril dernier, le Congrès islamique du Canada (CIC) a publié un rapport intitulé « Election 2004. Towards Informed and Committed Voting » dans lequel sont évalués les 301 parlementaires fédéraux en fonction de 20 questions de politique nationale et internationale définies et formulées par le CIC.
Dans son introduction au rapport de 34 pages, le CIC précise que l’évaluation des députés est adressée à tous les Canadiens et non seulement aux musulmans. L’objectif ? Permettre à chaque électeur de chosir le candidat le plus compétent et quelle campagne électorale financer.
Parmi les 20 questions servant de critères d’évaluation, retenons celles-ci, qui ont en commun de correspondre davantage aux exigences du lobby islamique canadien qu’aux besoins ou soucis de l’électeur canadien moyen, quoi qu’en dise le CIC :
- Relations Canada / Etats-Unis : (…)Nous croyons qu’en tant que voisin et allié des Etats-Unis, le rôle du Canada est de modérer la politique étrangère américaine afin de réaliser une paix mondiale et juste(…) Nous croyons nécessaire d’encourager les mérites durables de la politique étrangère canadienne qui ne repose pas sur les doubles standards, la discrimination raciale ou l’apaisement des Etats-Unis (…) le Canada devrait réduire sa dépendance accablante envers le commerce avec les Etats-Unis et devrait activement stimuler d’autres relations commerciales, comme avec le monde islamique dont la population compte 1,2 milliards de citoyens.
- L’occupation israélienne : Nous considérons que l’occupation israélienne de parties du sud du Liban, des hauteurs du Golan, de Gaza et de la Cisjordanie est une violation du droit international et mine la paix mondiale (…) L’actuelle politique canadienne envers le conflit israélo-palestinien est plutôt tributaire de l’affirmation « Israë l ne peut commettre de torts » et est moins balancée que celles des gouvernements précédents.
- La « Guerre au terrorisme » des Etats-Unis : Nous croyons que tout acte délibéré de violence contre des innocents est immoral. Nous croyons aussi qu’un peuple sous occupation a le droit, reconnu par l’ONU, de libérer leurs terres de plusieurs façons, dont la résistance armée. Une telle résistance armée, telle que décrite par l’ONU, ne peut être qualifiée d’ « actes de terrorisme ». (…) les valeurs militaristes américaines ont de plus en plus d’influence sur nos politiciens. Nous encourageons sincèrement un renversement de cette tendance (…) Nous croyons que le Canada a pris une décision très courageuse en refusant de se joindre à l’invasion de l’Irak de l’alliance dirigée par les Etats-Unis.
- Les relations du Canada avec les pays islamiques : Nous croyons que l’islam, en tant que religion, idéologie et vue du monde, est une force progressive pour l’avancement de l’humanité vers la paix mondiale et juste.
- Les soins de santé : (…) Les enseignements religieux détiennent une richesse d’informations sur la médecine préventive qui est pertinente pour la vie contemporaine.
- Libertés civiles : Nous croyons nécessaire de renforcer et d’encourager la protection et la mise en valeur des libertés civiles, particulièrement après le 11 septembre et la loi C-36 [loi sur le terrorisme]
En somme, le CIC a évalué 301 députés fédéraux en fonction de leur hostilité tant à la politique étrangère américaine qu’aux Etats-Unis eux-mêmes, de leur position sur le conflit israélo-arabe, de la promotion des relations commerciales avec le monde islamique au détriment des relations canado-américaines, de l’affaiblissement de la loi antiterroriste et d’une présence accrue du religieux dans la sphère publique.
Suite à une analyse des déclarations publiques, des objectifs de campagne électorale et des votes parlementaires de chacun des 301 députés, le CIC leur a attribué pour chacune des 20 questions l’une des notes suivantes :
A : position en accord ave le point de vue du CIC
F : position à l’opposé du point de vue du CIC
B : position partiellement en accord avec le point de vue du CIC
C’est ainsi que le Ministre de la Justice canadien, Irwin Cotler, connu pour avoir représenté des prisonniers de conscience tels que Nelson Mandela et Nathan Sharansky, mais aussi pour son appui aux efforts contre-terroristes du gouvernement israélien, se voit attribuer la note moyenne de F, tandis que le premier ministre du même gouvernement libéral (centre-gauche), Paul Martin, pourtant en faveur d’un rapprochement politique avec les Etats-Unis suite aux tensions survenues entre les deux pays à cause du refus canadien de se joindre à la coalition en Irak, obtient une moyenne de A.
La grande majorité des députés du gouvernement libéral obtiennent une moyenne de A ou de B, ce qui permet de conclure que le CIC souhaite que le « vote musulman » appuie la réélection du Parti libéral au pouvoir. Par contre, 68 des 71 députés de l’opposition officielle, le Parti conservateur (centre-droit), réputée pour son appui aux mesures antiterroristes américaines et au droit d’autodéfense d’Israë l, récoltent un F. Il est vrai que le Président du CIC, Mohammed El-Masry, a publiquement exprimé la crainte de voir se transformer le Parti conservateur en « Parti neocon », un terme codé utilisé par les adversaires de l’administration du Président Bush pour désigner la prétendue « cabale juive » qui règnerait sur la Maison Blanche et le Pentagone.
À l’autre extrémité du spectre politique, les députés du parti Néo-démocrate (gauche), parti violemment opposé à la politique étrangère américaine, récoltent tous des A, ce qui laisse présager que le CIC souhaiterait voir les néo-démocrates remplacer le Parti conservateur dans le rôle d’opposition parlementaire officielle.
En outre, le CIC a identifié 101 districts électoraux canadiens dans lesquels un « vote musulman » homogène pourrait faire basculer l’élection en faveur d’un ou l’autre des candidats. 55 de ceux-ci seraient en Ontario et 21 au Québec, les deux provinces les plus populeuses du Canada.
En cette année d’élections fédérales, l’establishment islamique du Canada a pris conscience de la puissance potentielle d’un vote islamique communautariste. Reste à voir si le CIC saura mobiliser les électeurs musulmans du Canada en ce sens et si ce précédent n’ouvrira pas la porte à une ethnicisation du vote dans ce pays d’immigration.