Lisez les cinq premiers paragraphes de la déclaration de l’OTAN sur l’invasion russe de la Géorgie, et vous ne trouverez pas une seule allusion sur qui a envahi qui. La déclaration est presque comique d’impartialité. « Nous déplorons toutes les pertes de vies  », déclara-t-elle, comme pour déplorer un accident d’autobus. Et, elle « exprime sa grave préoccupation sur la situation de la Géorgie  ». Situation, pensez-vous !
Ce n’est qu’au paragraphe six que l’OTAN, alliance de 26 nations représentant 900 millions de personnes et près de la moitié du PNB mondial, dégaine sa puissante épée, déclarant bravement « l’action militaire russe  » - non pas l’agression, non pas l’invasion, pas même l’incursion, mais « l’action  », n’est « pas en accord avec son rôle de gardien de la paix  ».
Ayant lancé une redoutable tautologie en direction de Moscou, quelle action de plus accomplit la Plus Grande Alliance de Tous les Temps ? Elle annule la prochaine réunion du Conseil OTAN-Russie.
C’est tout. Pas de dissolution du G-8 (groupe des démocraties industrielles avancées). Pas de blocage à l’entrée de la Russie dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Pas de suspension de la participation aux Jeux Olympiques d’Hiver de 2014 à Sotchi (à 24 km de la frontière géorgienne). Pas de déclaration de soutien au gouvernement Saakashvili.
Rappelez-vous : Il n’est pas question d’une action militaire, seulement de mesures - non douloureuses pour l’Occident - qui affecteraient significativement la Russie. A l’époque soviétique, la Russie n’y prêtait guère attention parce qu’elle était au centre d’un système autarcique fermé sur lui-même, qui comprenait 15 Républiques soviétiques, toutes en Europe de l’Est, et un ensemble de colonies outremer. Avec tout cela envolé, la Russie post-soviétique est infiniment plus dépendants du système international. Elle présente des points de pression politique et économique. Pourtant avec la Géorgie occupée, ses infrastructures détruites et sa capitale assiégée, l’OTAN n’a pris aucune de ces mesures.
La télévision russe vante déjà « un craquement dans le camp de l’OTAN  ». C’est plus encore un abîme. Le ministre des affaires étrangères britannique, David Milbrand, écrivant dans le ‘Times’ de Londres, s’oppose à l’idée même de l’expulsion de la Russie du G8 - mesure parfaitement calibrée et déjà bien en retard. Et un diplomate allemand dit que la question de la Géorgie n’aurait pas due être portée devant l’OTAN en premier lieu, mais plutôt devant l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), organisme consultatif totalement édenté, et devant les Nations Unies, où l’inaction est garantie par le veto russe.
A leur crédit, les Français ont essayé de faire quelque chose. Malheureusement le président Nicolas Sarkozy a été piégé par Moscou. L’article V de l’accord de cessez-le-feu qu’il a négocié, donnant à la Russie le droit « de prendre des mesures supplémentaires de sécurité  » à l’intérieur des frontières de la Géorgie, est un chèque en blanc pour l’occupation russe.
Tout ça pour la vieille Europe. L’Europe nouvelle, avec des souvenirs plus frais de l’oppression russe, n’a pas été aussi molle. Les présidents des républiques baltes (plus l’Ukraine et la Pologne) ont adressé massivement à Tblissi l’expression de leur solidarité avec le gouvernement Saakachvili. L’Ukraine a menacé la flotte russe de la perte de sa base navale en Crimée, et a même offert de détourner deux anciennes stations de radars soviétiques vers l’Occident. Et la Pologne a abandonné ses tergiversations sur les détails d’une batterie de défense antimissiles, tombant d’accord presque en une nuit sur les conditions américaines.
L’Europe de l’Est comprend les enjeux en Géorgie. C’est la dernière cible. Les objectifs de la Russie sont clairs :
(1) Couper l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie de la Géorgie pour les incorporer à la Russie ;
(2) Faire tomber le gouvernement pro-occidental de la Géorgie et
(3) Intimider les pays d’Europe de l’Est pour les ramener dans la sphère d’influence russe.
L’objectif N°1 est presque atteint. La Géorgie ne récupèrera jamais ses provinces. Elles seront bientôt absorbées par la Russie.
L’objectif N°3 a eu l’effet inverse, pour l’instant. Les pays d’Europe de l’Est se sont ralliés à la Géorgie - et aux Etats Unis.
L’objective N° 2 demeure en la balance. Les tanks russes ont coupé la Géorgie par moitié. Son plus grand port a été mis à sac. Sa capitale est isolée. La Russie démontre par toutes les manières possibles qu’elle restera en place, en maintenant de points de contrôle et un contrôle ultime.
Si ces conditions se poursuivent, la Géorgie sera étranglée et le président Mickheil Saakachvili tombera, pour être remplacé par un client docile avec lequel la Russie offrira de traiter avec magnanimité. Moscou aura démontré sa capacité à détruire un régime voisin pro-occidental sans invasion de grande envergure, ni occupation, avec une résistance zéro de l’OTAN. Les dirigeants de l’Europe de l’Est observeront ce résultat sous le choc, repenseront à leur mouvement réflexe en direction de l’Occident et, avec le temps, commenceront de s’accommoder aux ambitions russes. Chaque objectif russe aura été atteint.
Voilà pourquoi tant de choses dépendent des quelques semaines à venir, le temps d’une pression maximale sur le gouvernement Saakachvili. Le but de cette guerre est de démoraliser et de dominer l’Europe de l’Est. Son résultat dépend entièrement d’un seul développement : que la Russie réussisse à faire tomber ce qu’elle appelle avec mépris « le régime de Tbilissi  ». Il y a bien plus que le destin de la Géorgie en jeu.