Voici quelques idées à propos de la Conférence d’Annapolis et du problème plus large du conflit Israë l-Palestine et comment l’appréhender. La 1ère question devrait être celle-ci « de quoi s’agit-il dans ce conflit ? » Est-ce qu’il s’agit des dimensions physiques de l’état d’Israë l ou bien s’agit-il de son existence même ?
S’il s’agit de dimensions, nous sommes face à un problème de frontières, comme il y en eut en Alsace-Lorraine ou au Texas. Ce n’est peut-être pas facile à résoudre, mais c’est soluble à longue échéance et, en attendant, on peut vivre avec. Si d’un autre côté le sujet est l’existence d’Israë l, aucune négociation ne résoudra ce problème. Il n’y a pas de compromis possible entre exister ou ne pas exister, c’est l’un ou l’autre, et aucun gouvernement israélien n’entamera de telles discussions.
L’OLP et d’autres porte-parole Palestiniens ont de temps à autre donné des signes qu’ils reconnaissaient l’état d’Israë l, dans leur discours en langue étrangère. Mais jamais dans aucun message en arabe, que ce soit dans les livres scolaires, dans les discours politiques ou dans les sermons religieux. Et là , les expressions en usage en arabe dénotent, non la fin des hostilités, mais un armistice, ou au mieux une trêve, en attendant de meilleures auspices, pour gagner la guerre contre Israë l.
Sans une acceptation sincère et authentique du droit à l’existence d’un état Juif, comme il existe 22 états arabes dans la Ligue Arabe et 53 états musulmans dans l’Organisation de la Conférence Islamique, aucune paix ne peut être négociée.
Un bon exemple illustrant ce problème concerne la question des réfugiés dont on parle tant. Lors des combats de 1947/48, environ ¾ million d’Arabes se sont enfuis ou ont été amenés à fuir d’Israë l pour trouver refuge dans les états Arabes voisins. Au même moment et après, un plus grand nombre de Juifs fuirent ou ont été plutôt chassés d’états Arabes, d’abord de la Palestine du mandat britannique contrôlée par des Arabes, et là aucun Juif n’était autorisé à y rester, et puis d’autres pays arabes où leurs ancêtres ont vécu pendant des siècles, souvent bien avant l’arrivée des Arabes. La plupart de ces réfugiés ont trouvé un havre en Israë l.
Ce qui s’est passé en réalité, c’est un échange de populations, comme il y en eut en Asie, quand l’Inde britannique se partagea en Inde et Pakistan. Des millions de réfugiés ont dà » fuir dans les deux sens, les Hindous du Pakistan vers l’Inde et les Musulmans d’Inde vers le Pakistan. On a d’autres exemples en Europe de l’Est, après la 2ème guerre mondiale, quand les Soviétiques eurent annexé une large portion de la Pologne orientale et compensé la Pologne d’une mince parcelle de l’Allemagne de l’est. Là aussi nous avons assisté à un immense échange de populations, des réfugiés Polonais quittant leur terre devenue soviétique, vers la Pologne, et des Allemands quittant leur ex-patrie pour se réfugier en Allemagne. Les Polonais et les Allemands, les Hindous et les Musulmans d’Inde, les Juifs réfugiés des pays arabes ont tous été réinstallés dans leur nouvelle patrie, avec une nouvelle citoyenneté, et surtout, sans une aide internationale.
La seule exception de l’histoire concerne les Arabes Palestiniens restés réfugiés dans les états arabes voisins.
Le gouvernement de Jordanie accorda aux arabes Palestiniens une espèce de citoyenneté, tout en les maintenant dans des camps de réfugiés. Dans les autres pays arabes, ils sont restés apatrides, sans aucun droit, ni aucune possibilité de s’intégrer au pays, entretenus par des fonds de l’Onu. En contraste, tout Palestinien ayant réussi à entrer en Grande Bretagne ou aux Etats-Unis devenait citoyen du pays au bout de cinq ans et ses enfants, nés dans ces pays, étaient citoyens du pays où ils étaient nés.
Si ce Palestinien avait fui en Syrie, au Liban ou en Irak, lui et ses descendants restaient apatrides, et aujourd’hui nous sommes déjà à la 4ème ou à la 5ème génération de réfugiés.
La raison de cette anomalie a été donnée par divers porte-parole arabes. Il fallait absolument garder les Palestiniens comme une entité séparée jusqu’au jour du retour dans leurs foyers, afin de réclamer la totalité de la Palestine, Israë l, la Cisjordanie et Gaza. La demande continue du « retour des réfugiés » signifie clairement la destruction d’Israë l, et cela aucun gouvernement Israélien ne peut l’accepter.
Il y aurait des signes de changement dans certains cercles arabes, une volonté d’accepter Israë l et de voir même sa contribution à la vie publique dans la région. Mais ces opinions restent discrètes, car ceux qui les expriment publiquement sont jetés en prison ou pire. En tout cas, ces opinions n’ont aucune influence sur les dirigeants arabes.
Et ceci nous ramène à Annapolis. Si le problème n’est pas les dimensions physiques de l’état d’Israë l, mais son existence, les négociations sont vouées à l’échec. Et à la lumière du passé, cette question restera en suspens, jusqu’au jour où les dirigeants arabes atteindront leur but ou qu’ils y renonceront --- je veux dire la destruction d’Israë l.
Et les 2 issues semblent peu probables aujourd’hui.
* Bernard Lewis, professeur emeritus à l’Université de Princeton, auteur de très nombreux ouvrages sur l’Islam, son dernier livre est « From Babel to Dragomans : Interpreting the Middle East » (Oxford University Press, 2004).
Traduit par Albert Soued, www.chez.com/soued <http://www.chez.com/soued> , pour http://www.nuitdorient.com
dernier livre paru : Quand le Moyen-Orient verra-t-il la lumière ? <http://www.nuitdorient.com/livre.htm> - Ce livre sera dédicacé le lundi 20 janvier 2008 à 20h30 à l’AIU, 45 rue de la Bruyère -Paris 9