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Gaza, une riposte excessive ?
par André Glucksmann - le Monde - 7 janvier 2009
Article mis en ligne le 17 octobre 2009

Devant un conflit, l’opinion se divise entre les inconditionnels qui ont décidé une fois pour toutes qui a tort et qui a raison, et les circonspects qui jugent en fonction des circonstances telle ou telle action comme opportune ou inopportune, quitte àretenir, s’il y a lieu, leur jugement jusqu’àplus ample informé.

L’affrontement àGaza, aussi sanglant et terrible soit-il, laisse poindre pourtant une lueur d’espoir que les images chocs recouvrent trop souvent. Pour la première fois dans le conflit du Proche-orient, le fanatisme des inconditionnels paraît minoritaire. La discussion chez les Israéliens (est-ce le moment ? Jusqu’où ? Jusqu’àquand ?) roule comme àl’habitude dans une démocratie.

La surprise est qu’un semblable débat partage àmicros ouverts les Palestiniens et leurs soutiens, àtel point que, même après le déclenchement des opérations punitives israéliennes, Mahmoud Abbas, chef de l’Autorité palestinienne, trouva le courage d’imputer au Hamas, en rupture de trêve, la responsabilité initiale du malheur des civils àGaza.

Les réactions de l’opinion publique mondiale – médias, diplomates, autorités morales et politiques – semblent malheureusement en retard sur l’évolution des esprits directement concernés. Force est de relever le mot qui fait florès et bétonne une inconditionnalité du troisième type, laquelle condamne urbi et orbi l’action de Jérusalem comme « disproportionnée ». Un consensus universel et immédiat sous-titre les images de Gaza sous les bombes : Israë l disproportionne.

A l’occasion, reportages et commentaires en rajoutent : « massacres », « guerre totale ». Par bonheur, on évite àce jour le vocable « génocide ». Le souvenir du « génocide de Jénine » (60 morts), partout rabâché àla va-vite et depuis déconsidéré, paralyserait-il encore l’excès de l’excès ? Néanmoins la condamnation, a priori, inconditionnelle, de l’outrance juive régule le flot des réflexions.

Consultez le premier dictionnaire venu : « est disproportionné ce qui est hors de proportion » soit parce que la proportion n’existe pas, soit parce qu’elle se trouve rompue, transgressée. C’est la deuxième acception qui est retenue pour fustiger les représailles israéliennes jugées excessives, incongrues, disconvenantes, dépassant les bornes et les normes. Sous-entendu : il existerait un état normal du conflit Israë l-Hamas que le bellicisme de Tsahal déséquilibre, comme si le conflit n’était pas, comme tout conflit sérieux, disproportionné dès l’origine.

Quelle serait la juste proportion qu’il lui faudrait respecter pour qu’Israë l mérite la faveur des opinions ?

L’armée israélienne devrait-elle ne pas user de sa suprématie technique et se borner àutiliser les mêmes armes que le Hamas, c’est-à-dire la guerre des roquettes imprécises, celle des pierres, voire àson libre gré la stratégie des attentats-suicides, des bombes humaines et du ciblage délibéré des populations civiles ? Ou, mieux, conviendrait-il qu’Israë l patiente sagement jusqu’àce que le Hamas, par la grâce de l’Iran et de la Syrie, « Ã©quilibre » sa puissance de feu ?

A moins qu’il ne faille mettre àniveau non seulement les moyens militaires, mais les fins poursuivies. Puisque le Hamas – àl’encontre de l’Autorité palestinienne – s’obstine àne pas reconnaître le droit d’exister de l’Etat hébreu et rêve de l’annihilation de ses citoyens, voudrait-on qu’Israë l imite tant de radicalité et procède àune gigantesque purification ethnique ? Désire-t-on vraiment qu’Israë l en miroir se « proportionne » aux désirs exterminateurs du Hamas ?

Dès qu’on creuse les sous-entendus du bien-pensant reproche de « réaction disproportionnée », on découvre combien Pascal a raison et « qui veut faire l’ange, fait la bête ». Chaque conflit, en sommeil ou en ébullition, est par nature « disproportionné ». Si les adversaires s’entendaient sur l’usage de leurs moyens et sur les buts revendiqués, ils ne seraient plus adversaires. Qui dit conflit, dit mésentente, donc effort de chaque camp pour jouer de ses avantages et exploiter les faiblesses de l’autre. Tsahal ne s’en prive pas qui « profite » de sa supériorité technique pour cibler ses objectifs. Et le Hamas non plus qui utilise la population de Gaza en bouclier humain sans souscrire aux scrupules moraux et aux impératifs diplomatiques de son adversaire.

On ne peut travailler pour la paix au Proche-Orient qu’àla condition d’échapper aux tentations de l’inconditionnalité, lesquelles hantent non seulement les fanatiques jusqu’au-boutistes, mais aussi les âmes angéliques qui fantasment une sacro-sainte « proportion » propre àéquilibrer providentiellement les conflits meurtriers. Au Proche-Orient, on ne se bat pas seulement pour faire respecter une règle du jeu, mais pour l’établir. On peut àjuste titre discuter librement de l’opportunité de telle ou telle initiative militaire ou diplomatique, sans toutefois supposer le problème résolu d’avance par la main invisible de la bonne conscience mondiale.

Il n’est pas disproportionné de vouloir survivre.