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Apocalypse Now
Par Babak Dehghanpisheh*, journaliste à Newsweek International,
Article mis en ligne le 10 février 2007

Les forces Irakiennes se battent contre des ombres issues du culte shiite de la mort. Et c’est encore le moindre problème qu’elles ont à résoudre au Sud de l’Irak

Dhia Abdoul Zahra revendique sa qualité de Messie. La veille du jour le plus saint dans le calendrier shiite, al Ashoura, quand les croyants se flagellent avec des chaînes et des couteaux, Zahra a tenté de leur apporter le salut. Armés d’armes lourdes, des centaines de fidèles se sont affrontés aux forces Irakiennes et Américaines, au Nord Est de la ville sainte de Najaf, le 28 janvier. S’étant nommés « Soldats du Ciel », ces illuminés sectaires avaient comme projet de prendre d’assaut Najaf et d’y tuer les chefs religieux. Ils combattirent avec acharnement, abattirent un hélicoptère américain, avec 2 soldats et obligèrent les forces Irakiennes à demander des renforts à deux reprises. La police locale affirme qu’il ne s’agit pas d’un ennemi ordinaire. Les combattants de cette secte ont réussi à pénétrer la fréquence radio de la police, y répétant ce message inquiétant « le Mahdi arrive ». Le retour du 12ème et dernier Imam de la Shia’h, appelé Mahdi, qui a disparu au 9ème siècle, signale la fin des temps.

La trentaine, Zahra mort dans la bataille avec plus de 250 adeptes, il serait facile de le comparer, à David Koresh, le gourou messianique mort au milieu de ses adorateurs aux Etats-Unis. Mais les Soldats du Ciel ne sont qu’une faction shiite parmi les douzaines qui ont jailli dans l’Irak méridional, la plupart ayant des velléités millénaristes.

On a toujours cru que le Sud shiite était éloigné de la guerre sectaire qui envahit Bagdad et ses environs. L’armée irakienne a repris des mains des Américains la sécurité de Najaf, en décembre dernier. Et pratiquement aucun des 20 000 soldats supplémentaires prévus en Irak n’iront dans cette région. Le Renseignement national américain a conclu à 4 conflits qui se superposeraient en Irak. D’abord les sunnites d’al Qaeda qui s’attaquent au pouvoir établi et au protecteur Américain ; ensuite les insurgés sunnites ex-baathistes qui se vengent de la perte de leur hégémonie et tentant de la récupérer en se battant contre les autorités shiites et contre les Américains ; les violences sectaires locales sunnites-shiites ; et enfin le conflit du Sud de l’Irak entre shiites. Si on n’y prend pas garde, ce dernier conflit peut dégénérer en conflit majeur, déstabilisant encore plus le pays. L’auteur de « La renaissance de la shia’h » Vali Nasr nous dit : « La chute de l’autorité dans l’Irak méridional sera dévastatrice aussi bien pour les Américains que pour les Irakiens ».

Sous le régime de Saddam Hussein, le Sud shiite était perçu comme le champ clos des intrigues Iraniennes et de ce fait délibérément négligé. L’infrastructure y est manifestement pire qu’ailleurs, les routes sont pleines de nids de poule, les égouts sont à l’air libre... et, en dépit des millions $ dépensés dans divers projets depuis 2003, la situation ne s’est pas améliorée sensiblement. Le chômage atteint les 60%, et les 5 provinces les plus pauvres se trouvent dans le Sud. De nombreux projets de reconstruction ont été abandonnés à cause de la corruption, des enlèvements et des assassinats.

Les 2 intervenants majeurs dans la région sont l’Armée du Mahdi de Moqtada al Sadr et le Conseil suprême de la révolution islamique en Irak de l’imam Abdel Aziz al H’aqim. Mais à Basra seulement, une demi-douzaine de factions au moins se bat avec férocité pour le pouvoir. Et le pétrole de cette région intervient pour 90% dans le budget de l’Etat ! Le taux des meurtres a été multiplié par 3, à Basra, au 1er semestre 2006. Selon Juan Cole, professeur d’histoire à l’Université du Michigan et expert des affaires shiites « La situation sécuritaire dans le Sud est mauvaise et elle risque d’empirer ».

Dans cet environnement chaotique, on parle de plus en plus de l’apparition du Mahdi (zehour).

Salama Khafaji, un ancien membre du Gouvernorat de Najaf, explique que « la satisfaction des besoins essentiels en eau, électricité, emplois et paix de l’esprit étant en constante diminution, les gens cherchent une espèce de miracle pour survivre ». Et Sadr profite de cet état d’esprit. « Des groupes marginaux qui croient ferme dans le retour du Mahdi et qui constatent que le pouvoir religieux shiite ne fait rien pour hâter sa venue se développent » dit Nasr. Selon Salama Khafaji « Quand vous avez un écroulement total de la société, c’est à ce moment là qu’apparaissent ces illuminés, combinant l’anxiété sociale, la frustration politique et la peur de l’avenir ». Des religieux qui connaissaient Zahra prétendent que les Soldats du Ciel ne sont qu’une branche de l’Armée du Mahdi, et n’ont que peu d’amis dans la société dirigeante de Najaf. « Ils étaient opposés aux dirigeants religieux (marjaiya), au gouvernement, aux Américains » dit le sheikh Fateh Kashef al Guitta, de Najaf qui explique la situation. En plus d’une occasion les adeptes de Zahra ont tenu des batailles rangées contre l’Armée du mahdi. Ils étaient bien implantés à Zarqa, un village à 15 km au nord-est de Najaf. Le groupe avait creusé des tranchées de 2m de profondeur autour de leur propriété, protégée par des sacs de sable. Des armes étaient enterrées ou recouvertes de branches de palmiers. L’armée Irakienne a découvert plus tard des fusils d’assaut, des mitraillettes et des lance-missiles. Mais ces « Soldats du Ciel » ne sont pas les seuls à être aussi fortement armés. De nombreuses autres branches issues de l’armée d’al Sadr, comme le parti Fadhila, contrôlent les champs pétrolifères. Les responsables de sécurité de Bagdad craignent même un afflux de milices shiites au sud, fuyant Bagdad après l’arrivée des nouvelles troupes américaines.

Zarqa est un signe qui annonce des troubles. Et bien que G Bush ait félicité les troupes pour leur succès contre Zahra (« les irakiens commencent à me montrer quelque chose » dit-il), en fait les troupes gouvernementales étaient à 2 doigts de perdre. Le colonel Ahmed Silawi, directeur du Renseignement de Najaf et Abdel Hussein Abtan, le gouverneur-adjoint de Najaf étaient en fait coincés. « Aidez-nous ! Il y a un tir nourri ! » criait Abtan à la radio et Silawi a dit à notre correspondant qu’il avait récité la prière des morts (la shehada). Ce sont les bombardements répétés de l’aviation américaine qui avaient eu raison de ces « soldats illuminés ».

En fait c’est l’Iran qui a plus d’influence dans cette région méridionale que la Coalition. Et c’est l’Iran, semble-t-il, qui a fomenté les troubles au Sud.« Si après cette attaque, les Américains ne se rendent pas compte qu’ils ont besoin de notre aide pour stabiliser l’Irak, on se demande si jamais un jour ils vont comprendre » dit un officiel de Téhéran, lié au pouvoir Iranien et qui a demandé à ne pas être nommé, vu l’importance du sujet.

Si l’Iran attend que Washington demande son aide pour le Sud, il peut aussi attendre le retour du Mahdi.


  • Babak Dehghanpisheh, journaliste à Newsweek International, avec l’aide de reportages de l’équipe Irakienne à Najaf et Maziar Bahari à Téhéran, Christopher Dickey ià Paris et Karen Fragala Smith à New York

Article publié par Newsweek - Numéro daté du 12 février 2007

Traduit par Albert Soued, www.chez.com/soued <http://www.chez.com/soued> , pour www.nuitdorient.com <http://www.nuitdorient.com/>



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