Recevant il y a quelques jours une délégation du Consistoire central, conduite par son Président, Jean Kahn, venue lui faire part de l’émotion de la Communauté juive à la suite de plusieurs décisions récentes de justice, en matière d’antisémitisme, le Garde des sceaux, ministre de la justice, Dominique Perben, ne pouvait que rappeler le principe de l’indépendance des juges.
Effectivement, l’actuelle Constitution de la Vème République se situe dans le droit fil de la tradition républicaine, en faisant du Président de la République le garant de ce principe fondamental.
Il en résulte que les magistrats dits « du » siège ", c’est à dire ceux qui effectivement, en rendant des décisions, appliquent la loi, ne peuvent recevoir aucune instruction du ministre de la justice.
En revanche, les magistrats dits du « parquet », ou encore « ministère public », c’est à dire ceux qui, représentant les intérêts de la société, prennent, par leurs réquisitions (écrites) position sur les faits reprochés et dans leur réquisitoire (à l’audience) se prononcent sur la peine qui devrait être appliquée, ne jouissent pas de la même indépendance.
Car, selon l’adage ancien, « l’écrit est serve », c’est à dire qu’un magistrat du parquet doit obéir aux injonctions de la Chancellerie, dans ses réquisitions ou dans la décision de faire appel d’un jugement pénal. Mais, parce que ce sont quand même des juges, leur « parole est libre ». C’est à dire que parfois - mais très rarement - le substitut, le procureur ou, devant une Cour d’appel, l’avocat général peut s’exprimer librement à l’audience.
Or, il faut reconnaître que l’actuel Garde des sceaux utilise, au maximum, la liberté d’injonction que lui laisse le statut du parquet et c’est ainsi qu’à différentes reprises, c’est le parquet qui a fait appel, dans des affaires en matière d’antisémitisme, voire en matière d’antisionisme. Ainsi, c’est à l’initiative du parquet qu’un appel a été formé contre un jugement qui avait acquitté un maire de la région lilloise qui, ouvertement, avait appelé au boycott des produits israéliens dans les cantines scolaires de sa ville . Ce qui a permis d’infirmer le jugement d’acquittement.
On relèvera également qu’à propos des déclarations de Dieudonné qui avait déclaré : « les juifs, c’est une secte, une escroquerie », l’avocat général avait requis la condamnation de l’humoriste, estimant que sa critique du fait religieux n’est que « le faux-nez » pour justifier son antisémitisme".
Or qu’advint-il par la suite ?
Il y a quelques jours, la Cour d’appel de Paris a confirmé la relaxe dont Dieudonné avait bénéficié, en première instance, au motif que « si les termes incriminés
Autrement dit - et nous pesons nos mots -, étant tenu à un devoir de réserve - on a parfaitement le droit de dire pis que pendre des Juifs, dès lors que l’on fait profession d’hostilité à l’égard de toute religion.
Cette prise de position de la Cour de Paris (instance d’appel) est d’autant plus inquiétante que peu de temps auparavant, le Tribunal correctionnel de Nanterre avait, déjà , pratiquement, eu la même conception de la liberté de la presse à propos d’un article d’Edgar Morin et de Danielle Sallenave dans le journal « Le Monde ».
L’article traduisait, pourtant, des sentiments peu amènes à l’égard des Juifs « qui furent humiliés, méprisés, persécutés, (et qui) humilient, méprisent, persécutent les Palestiniens. Les juifs qui furent victimes d’un ordre impitoyable imposent leur ordre impitoyable aux Palestiniens. Les juifs victimes de l’inhumanité montrent une terrible inhumanité ».
Rien de répréhensible à dire cela, dès lors que l’on se situe dans le cadre du conflit israélo-palestinien. Les juges ont, en effet, admis qu’ « en termes particulièrement incisifs et virulents » les auteurs décrivent, dans leur article, ce qui selon eux serait oun cercle vicieux infernal qui favorise le pire dans les deux campso et ola dialectique des deux haineso.
Ces deux décisions de juridictions judiciaires, reflètent, manifestement, une perception inquiétante de la communauté juive.
Or, Il faut, également, rappeler le jugement du Tribunal administratif de Paris qui, a, il y a quelques semaines, annulé l’exclusion de deux collégiens musulmans qui s’en étaient pourtant pris violemment à un de leurs condisciples, parce qu’il était juif (après tout, tout le monde ne peut pas être chrétien et pas encore musulman).…
(*) David Ruzié est professeur émérite des universités