Israéliens et Palestiniens doivent saisir la chance qui passe et déposer les armes.

Un temps pour la paix !

Marek Halter

lundi 1er janvier 2001

Cessons d’ajouter des morts aux morts, comme des mots qui blessent àmort ! La paix est proche. demain la paix ? Personnellement, je n’ai jamais douté. J’aurais préféré, bien sà»r, qu’elle se fasse plus vite, mais le train de l’Histoire a sa propre vitesse. Il peut avoir encore quelques pannes avant l’arrivée. Est-ce le moment de faire le bilan de son parcours ? Peut-être pas. Il mérite pourtant qu’on réfléchisse sur l’importance qu’il a prise aux yeux des hommes, sur les raisons de la passion qu’il a suscitée tout au long de son voyage et sur le débat qu’il a provoqué.


Le conflit israélo-palestinien n’est pas un conflit comme les autres, une de ces guerres locales qui ensanglantent depuis soixante ans l’humanité. Un mort àJérusalem trouve naturellement sa place àla une de nos journaux. Or, si les cent morts civils en Algérie pendant le ramadan intéressent les Français, ils n’ont eu droit qu’àun simple entrefilet dans la presse mondiale. C’est que dans le conflit proche-oriental sont mêlés deux éléments qui touchent, de Djakarta àCopenhague, tous les hommes : Dieu et les juifs.

Plus de trois milliards d’individus, àmajorité chrétienne, juive et musulmane, considèrent Israë l et la Palestine comme la Terre sainte, et Jérusalem comme la demeure de l’Eternel. L’autre moitié de l’humanité, en contact permanent depuis des siècles avec la première, se sent aussi concernée. Huit croisades, certains disent neuf, plusieurs djihads (guerres saintes), la décolonisation, enfin d’innombrables mouvements messianiques ont entretenu la passion de l’humanité pour cette terre et l’Histoire. Passion qui marqua pour toujours les religions, la littérature, l’architecture, la musique jusqu’aux mythes, au comportement et aux vocabulaires de milliers de peuples àtravers le monde.

Les juifs, eux, fascinent depuis toujours. Bien avant la naissance, parmi eux, du christianisme et du mythe du peuple déicide, ils étaient l’objet d’un intérêt tout particulier. Les inscriptions assyriennes et égyptiennes, les livres de Tacite, Juvénal, Cicéron ou Pline le Jeune le prouvent. Le mystère de « ce petit peuple dont l’origine précéda celles des grands peuples », selon Chateaubriand, et qui, miraculeusement, a traversé le temps passionne. Comme ce livre énigmatique qu’ils font lire « Ã leurs enfants qui, àleur tour, le feront lire àleurs enfants. Ce qu’ils faisaient il y a cinq mille ans, ils le font encore ».

Or l’intérêt pour les juifs et Israë l est, d’Apion ànos jours, souvent motivé par cette part occultée de l’antisémitisme que se partagent si bien les humains. Dans la crise au Proche-Orient, cet antisémitisme a trouvé une nouvelle légitimité au nom de la justice, sous le masque de la compassion pour les victimes palestiniennes.

Quelle qu’en soit la motivation, les juifs ne laissent personne indifférents. Je faisais remarquer un jour àYasser Arafat que le drame et la chance des Palestiniens est d’avoir des juifs comme adversaires. Drame : confrontés àtoute autre puissance, ils auraient depuis longtemps obtenu leur Etat. Chance : sans les juifs comme ennemis, personne n’aurait parlé des Palestiniens.

En 1919, le roi Fayçal, père du nationalisme arabe, écrivait au leader sioniste américain, Felix Frankfurter : « Le mouvement juif, pas plus que le nôtre, n’est un mouvement impérialiste. C’est un mouvement national. Je crois vraiment qu’aucun de nous ne peut se passer de l’autre pour atteindre son but. » L’histoire lui donne raison. Débarrassé de son côté religieux, et libéré de nos théories et conseils qui, quoi qu’on en dise, influencent l’attitude des Israéliens et des Palestiniens, ceux-ci comme ceux-làpourraient rapidement trouver une solution àun conflit essentiellement national, comme le disait le roi Fayçal. On peut bien sà»r regretter l’absence d’une vision plus large, l’absence de ce projet de fédération jordano-palestino-israélienne - et, àterme, régionale, dont parlait Rabin. En acceptant cette idée, les deux parties auraient ramené l’indépendance de la Palestine àune simple étape bien plus facile àfranchir.

Cela dit, personne, du côté israélien, n’est allé et n’ira sans doute aussi loin dans le compromis avec les Palestiniens que Barak : restitution des territoires occupés àla suite de la guerre des Six Jours, partage de Jérusalem, démantèlement de la plupart des colonies, voilàune bonne base pour un accord honorable et une « paix des braves » comme l’a revendiquée Arafat. A condition pourtant que les deux interlocuteurs admettent enfin que, sur cette terre, nul ne peut dire àl’autre : « Partez ! » Qu’au Proche-Orient Israéliens et Palestiniens sont chez eux. Que le retour au rêve ancien, rêve de disparition de l’un des belligérants, signerait la faillite définitive du sionisme ou la honte de l’islam. La volonté de maintenir des colonies juives sur les territoires palestiniens ou la demande du retour en Israë l de millions de Palestiniens, nés depuis soixante ans dans les pays arabes, font partie de ce rêve.

Dans ce long voyage vers une solution du conflit israélo-arabe, nous nous trouvons dans la dernière ligne droite. Personne n’a plus droit àl’erreur. Même pas nous, qui ne sommes ni israéliens ni palestiniens. Que pouvons-nous ? Presser les uns et les autres de saisir cette occasion historique comme l’a fait Hubert Védrine au nom de l’Europe. L’Histoire, comme le temps, dont elle est la fille, ne revient pas sur ses pas. Elle n’attend jamais longtemps àla station de l’Indépendance.

Il y a peu, je parlais àmes amis israéliens et palestiniens de ce passage de l’Ecclésiaste qu’on lit rarement jusqu’àla fin : « Un temps pour lancer des pierres, un temps pour en ramasser... Un temps pour la guerre, un temps pour la paix ! » Jusqu’àce jour-là, gardons notre souffle. Cessons d’ajouter des morts aux morts, comme des mots qui blessent àmort ! La paix est proche. On entend son souffle. Si on ne lui tend pas la main, elle mourra.


Les textes

Mots-clés

Accueil