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Un intellectuel et poète arabe israélien : « La perception islamique n’est tournée que vers le passé, jamais vers l’avenir »
Memri
Article mis en ligne le 4 avril 2004

Dans une interview de l’hebdomadaire Kol Hayir (édité à Jérusalem), accordée à l’occasion de la publication de son premier ouvrage sur la poésie en hébreu, Salman Masalha, intellectuel et poète arabe israélien.

Il évoque l’illettrisme dans le monde arabe qui, selon lui, affecte la pensée arabe, la fixation du monde arabe sur le passé, l’éducation des femmes et l’importance du doute et des interrogations dans le développement culturel d’une société.

Masalha, qui a refusé de faire son service dans l’armée israélienne, possède un Doctorat en poésie pré-islamique ; il a enseigné la littérature arabe à l’Université hébraïque de Jérusalem. Voici quelques extraits de l’interview : (1)

L’analphabétisme dans le monde arabe touche plus de 80% de la population

« Il existe un grave problème aujourd’hui chez la jeunesse arabe, un problème d’expression en arabe. »

" Question : pourquoi donc ?

Salman Masalha : A cause de la langue, du profond fossé qui sépare l’arabe écrit de l’arabe parlé. Pour faire passer une idée complexe, il faut une langue élaborée, pas la langue du souk. Prenez des écoliers de Quatrième et considérez leur français, ou leurs homologues juifs israéliens, et vous vous apercevrez de la différence d’expression. Parce qu’il ne maîtrise pas la langue de la pensée, l’élève arabe va à l’encontre de gros problèmes. Et c’est ainsi dans tout le monde arabe.

Le monde arabe ne sait pas lire. De nombreux rapports établissent que le monde arabe est en grande partie illettré. L’analphabétisme n’y atteint pas 50% [de la population], comme l’établissent les rapports. J’affirme qu’il touche plus de 80% de la population. Dans les faits, même ceux que l’on ne peut qualifier d’illettrés parce qu’ils ont huit ans d’études derrière eux, le sont, à mon avis. En ce siècle, tous ceux qui terminent l’école primaire ne savent pas forcément lire.

Un livre qui se vend à 5000 exemplaires dans le monde arabe est un succès rare. Un livre moyen publié en Israël se vend mieux qu’un livre à succès dans le monde arabe pris dans sa globalité. Cela est aussi dû à la situation économique. La lecture est un privilège réservé à ceux qui ont du temps libre et de l’argent. La pauvreté qui balaie le monde arabe condamne l’individu à lutter pour sa subsistance sa vie durant. Comment pourrait-il lire ? Il doit nourrir ses enfants, sa famille.

Question : Pourquoi ne pas adopter une autre approche en commençant à écrire en [arabe] parlé ?

Salman Masalha : Impossible. Il ne s’agit pas ici de théâtre, de cinéma ou de séries télévisées. Il est impossible de rédiger des [travaux de] recherche sur l’art et l’histoire en langage parlé. Un langage littéraire est nécessaire pour cela.

Question : La situation des Arabes en Israël est-elle très différente ?

Salman Masalha : Je ne crois pas. Il existe 200 lecteurs, pas plus, parmi les Arabes d’Israël.

Question :
Vous pensez aux lecteurs de poésie ?

Salman Masalha : De poèmes, de littérature et autres. Pas plus de 200 lecteurs. En outre, les professeurs de littérature au lycée ne lisent pas vraiment, et créent ainsi une nouvelle génération, puis encore une autre génération, d’élèves ignorants.

Question :
Mais il existe plus de 200 écrivains !

Salman Masalha : Bien sûr, [puisqu’]il y a plus d’écrivains que de lecteurs ! Selon ce qui apparaît dans la presse arabe, il existe plus de 200 poètes. Les sections littéraires [de la presse] sont si ridicules que cela en est incroyable. Les textes et les poèmes publiés dans la presse arabe sont enfantins, pas spécialement élaborés.

Question : Comment expliquez-vous cela ?

Salman Masalha :
Certains journaux appartiennent à des partis ; ils publient les textes de n’importe quel individu qui soutient leur parti, sans prendre en compte le contenu. Les directeurs s’en moquent bien. Et il y a bien sûr les journaux commerciaux, dont il n’y a pas grand chose à dire. Aujourd’hui, seul Masharif est ouvert au monde de la littérature arabe et hébraïque ; c’est le seul lieu où l’on peut trouver toutes sortes de textes. Quant au reste des prétendus journaux, ils sont dirigés par des directeurs irresponsables et des gangs infantiles.

Question : Et qu’en est-il des éditeurs ?

Salman Masalha : En Israël, il n’existe pas d’éditeurs en langue arabe. Mais le pire est qu’il n’y a pas de librairies. Je ne parle pas de bibliothèques, mais de librairies. A Nazareth, il existe bien une librairie, mais le choix y est très limité. On revient du Caire avec des sacs de livres sans réfléchir à deux fois !

Le seul recours pour l’Arabe qui vit ici est qui désire être mis au courant des nouvelles littéraires dans le monde arabe est Internet, mais pour cela il faut des gens intéressés capables d’obtenir l’information. Il existe quelques bons sites, à travers lesquels on peut suivre les nouvelles littéraires dans le monde arabe et se tenir au courant des publications. « 

Les Arabes » doivent intégrer la culture occidentale "

Masalha, qui est né dans un village druze en Galilée, réside aujourd’hui à Jérusalem Ouest. Il critique les parlementaires israéliens comme Ahmed Tibi et Azmi Bishara, qui vivent à Jérusalem Est tout en étant logés aux frais des allocations logement de la Knesset.

" Salman Masalha : Quelle différence existe-t-il entre eux et les colons ? A mon avis, tout ce qui se fait au-delà des frontières de 1967 se fait par la force de l’occupation. Tout, de A à Z.

Si l’on estime qu’il doit y avoir deux pays pour deux peuples, on ne peut participer à l’occupation en vivant dans les territoires occupés, ni même dans un quartier arabe. Je considère qu’il n’y a aucune différence entre un Arabe israélien qui vit dans un quartier arabe et un colon.

Question : Avez-vous connu des problèmes dans les quartiers juifs ?

Salman Masalha : Je n’ai personnellement jamais eu de problème, ce qui ne veut pas dire que d’autres n’en auront pas eu. Mais je n’ai eu aucun problème, et je n’ai pas maintenant la force d’inventer une histoire prouvant que je suis un Arabe victime de discrimination. La vie à la ville est différente de la vie dans les villages arabes. En définitive, nous vivons en apartheid. Il existe une séparation entre les Juifs et les Arabes. Chacun dans son quartier. Les Arabes en Israël ont un très gros problème avec le concept de patrie. Dans les faits, la patrie devient le village où ils sont nés - et pour être plus précis encore, le quartier du village où ils sont nés. Une patrie constituée du cercle familial ou de la tribu, puis du voisinage, puis du village. Il n’existe aucune transition entre les différents lieux. A cinq km de Magar [où je suis né], je suis déjà considéré comme un étranger, un réfugié. « Masalha ne visite pas souvent le village de son enfance, mais la situation des Arabes en Israël l’afflige : » Ce qui arrive aux Arabes en Israël ressemble à ce qui est arrivé aux Orientaux [en référence aux Juifs d’Orient en Israël]. Ils vivent dans une société complètement occidentalisée, adoptent toutes les formes de rebut qu’offre la culture occidentale, tout en s’aliénant de leur propre culture. Ils n’intègrent que ce qui se trouve en marge de la culture occidentale. Dans une telle situation, n’importe quelle société s’effriterait, et c’est alors la loi de la jungle qui règne. Tous les villages arabes en Israël sont régis par le crime et la force. Il faudrait intégrer la culture occidentale, pas seulement les marges de cette culture mais la curiosité qui la motive, son authentique désir de développement, les questions qu’elle pose [sur le monde] (…) «  » Les précédentes époques islamiques connaissaient une plus grande ouverture que l’époque actuelle «  » Question : Je me trompe peut-être, mais il me semble que la poésie de la période abbasside témoignait d’une plus grande ouverture, était plus éclairée et contenait plus de références aux droits de l’Homme que ce que l’islam permet aujourd’hui.

Salman Masalha : C’est exact. Une culture forte permet la diversité ; une culture forte permet la liberté de pensée, autorise l’homme à sortir du cadre. A son sommet, la culture abbasside témoignait d’une grande assurance et offrait donc un grand espace de liberté. Le manque d’assurance vous amène au point culturel le plus bas sur tous les plans : les droits de l’Homme, les droits de la femme. Sous l’empire arabe, il existait une plus grande liberté que dans le monde arabe actuel.

Question : Dans ce cas, que veulent ceux qui appellent au retour à l’islam : une culture et une liberté à leur sommet ?

Salman Masalha : Pas du tout. La perception [des Arabes musulmans] aujourd’hui rappelle le début des temps islamiques. En fait, l’islam a essayé d’unifier les tribus arabes de la Péninsule arabique. Les islamistes considèrent le monde arabe selon ce que je lis dans les écritures, comme s’il était encore plongé dans la Jahaliya, la période obscurantiste qui a précédé l’islam. Ces mouvements islamistes tentent de raviver l’islam en unissant la nation islamique. Mais était-elle vraiment unie ? [Le troisième calife] Mohammed Othman Ben Affan a été assassiné et jeté sur un tas de fumier. Il est resté là trois jours, puis un chien lui a mangé le pied. Est-ce cela, l’âge d’or auquel ils veulent retourner ?

La perception islamique a cela de particulier qu’elle n’est tournée que vers le passé, jamais vers l’avenir. C’est à vous rendre fou. Si l’âge d’or est révolu, toute votre vision du monde fonctionne en marche arrière. C’est une cause de régression. Dans notre mentalité d’Arabes se trouve une formule empoisonnée qui ne peut mener à rien de bon. Il faut changer de programmation. Il faut remplacer ce disque par un autre disque ; ce n’est qu’ainsi que le changement pourra intervenir. « 

 » Les femmes sont la solution "

" Question : Comment faire ?

Salman Masalha : Premièrement, en séparant la religion et l’Etat. [Puis] en engageant le combat contre l’ignorance, en s’ouvrant au monde et aux autres cultures. La devise islamique ’l’islam est la solution’ doit être remplacée par celle de ’la femme est la solution’. Les femmes doivent être éduquées, encouragées et éclairées. Dans un foyer où l’épouse est instruite et productive, les enfants seront éduqués de manière à le devenir aussi. Une grande partie du retard et de la tragédie du monde arabe est due au traitement odieux des femmes.

A mon sens, l’islam encourage le retour à l’obscurantisme de l’ère pré-islamique. Je pense que la solution consiste à construire une société libérale démocratique qui place l’individu en son centre, et surtout, la femme au cœur de ce centre.

Nous, les Arabes, avons un problème d’autodérision : nous ne savons pas rire de nous-mêmes. C’est une partie du problème. Nos tabous sont nombreux, et font pratiquement office de parole divine ; ils ne doivent pas être transgressés. Il n’existe pas de satire arabe. Dans les écrits arabes [prétendument satiriques], il est rare de trouver quoi que ce soit d’intéressant, sauf peut-être chez Emil Habibi. Nous prenons le monde très au sérieux. «  » Les Arabes israéliens sont plus libres que qui que ce soit dans le monde arabe «  » Question : Est-ce que cette situation vous limite dans l’écriture ?

Salman Masalha :
Les journaux arabes ne publient pas de textes érotiques, de critiques de l’islam, de révélations intimes, de dénonciation politique. Il n’existe pas de nouvel historien arabe. Tout est « Establishment » dans le monde arabe. Nous ne nous posons jamais les vraies questions. Le doute n’existe pas. Personne ne doute [de la véracité] du Coran.

Le doute est essentiel au développement d’une société et d’une culture. C’est de cette programmation que je parlais, de la nécessité de la remplacer. De commencer, pour une fois, à poser des questions sur ce qui importe le plus dans nos vies et à en parler, afin de trouver des solutions ou des façons de changer la triste réalité.

Nous ici [en Israël], malgré tous nos problèmes et la complexité de la situation, savons au fond de nous-mêmes que nous sommes libres ; je veux dire libres de penser et d’écrire. Nous sommes plus libres de penser que qui que ce soit dans le monde arabe.

Question : Qu’en est-il de la laïcité dans le monde arabe ?

Salman Masalha : Je ne sais pas s’il est seulement possible d’évoquer la laïcité dans le monde arabe. Existe-t-il une chose pareille ?

Le problème dans le monde arabe, comme en Israël, est que les mouvements dits laïcs souffrent d’un sentiment d’infériorité face à la religion. Dans le monde arabe, ceux qui s’opposent aux régimes existants ont une seule porte de sortie : la mosquée, en vertu de l’infériorité de ces régimes face à l’islam. [Pourtant] mes valeurs laïques ne sont pas moins élevées [que les valeurs religieuses]. Les laïcs ne devraient pas se sentir inférieurs. Au contraire.

Question : La démocratie n’est toutefois pas envisageable pour l’Arabe moyen.

Salman Masalha : C’est la plus grande trahison des intellectuels arabes. Ceux qui osent s’enfuir pour l’Amérique ou l’Europe, parce qu’ils ne peuvent pas créer et écrire dans leurs propres sociétés… D’autres, selon des rapports qui commencent à être publiés, ont reçu au fil des ans des enveloppes pleines de dinars envoyées par Saddam Hussein. Les intellectuels de ce type sont la racine du problème.

Aujourd’hui, n’importe quel individu n’ayant même pas fini l’école primaire peut se faire pousser la barbe et devenir une source d’autorité et de pouvoir. Les gens ne connaissent pas l’histoire de l’islam. A partir du moment où une création devient vérité absolue, elle a représentant sur terre, et allez discuter avez lui ! On ne peut discuter avec la foi. C’est pourquoi la guerre contre le fondamentalisme ne peut être le fait de l’ignorance ; elle doit surgir de la connaissance - et le monde arabe aujourd’hui, tel qu’il est, est un monde d’ignorance.

De quoi pourraient-ils être fiers ? Toute l’histoire arabe se base sur des crimes de guerre. Pratiquement tous les califes musulmans ont été abattus. Je suis fier de dire que je suis, Dieu merci (2), un Arabe païen. "

Kol Hayir (Israël), le 19 mars 2004
En hébreu dans l’original : « Baroukh HaShem »

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