Joseph Zrihen | Propos recueillis par David Reinharc
samedi 12 mai 2007
David Reinharc : Qui va voter au CRIF ?
Joseph Zrihen : Le CRIF, c’est 63 associations qui en fonction de leur taille, de leur poids, de leur histoire aussi, ont un certain nombre de délégués à l’Assemblée Générale.
Il y a 171 délégués actuellement qui votent pour le président et voteront aussi pour le comité directeur.
D.R. : A quoi sert le CRIF ?
J.Z. : Le CRIF a été créé, comme le mentionne son préambule, au plus fort de l’occupation allemande et a manifesté alors l’esprit et la volonté de résistance des Juifs de France.
Depuis, il a été présent au service de toutes les causes dans la défense du judaïsme, des Juifs et des Droits de l’Homme.
Fin de la Deuxième Guerre, création de l’Etat d’Israë l : des hommes, des femmes de toutes origines ont posé alors, sous la présidence de feu Léon Meiss, Président de l’Union des Associations Cultuelles Israélites de France et d’Algérie, la représentation politique des Juifs de France.
Notre communauté évolue actuellement sur un trépied : le Fonds Social Juif Unifié s’occupe des actions sociales, éducatives et culturelles, le Consistoire a la responsabilité de ce qui est lié au culte, le CRIF assume la représentation politique.
Je suis partisan de cette unité communautaire et dans mon programme, un des axes fondamentaux est l’unité de cette communauté autour de ces trois grandes institutions.
Je précise que c’est dans le respect de la différence et de la sensibilité de chaque association que j’entends relever les défis de demain et ouvrir de nouveaux et ambitieux chantiers.
D.R. : Docteur Joseph Zrihen, vous êtes candidat à l’élection à la Présidence du CRIF le 13 mai 2007.
Pouvez-vous vous présenter, ainsi que définir « votre » CRIF ?
J.Z. : Je suis médecin, j’ai 56 ans, j’ai 5 enfants et trois petits-enfants.
Ma vision est celle d’un CRIF puissant, uni, ouvert ; j’aspire à donner au CRIF toute sa dimension d’organe fédérateur indépendant agissant avec détermination dans l’unité retrouvée pour préserver et renforcer la place des Juifs en France, les liens de solidarité et d’attachement avec Israë l, la transmission de la mémoire de la Shoah.
Aujourd’hui, plus qu’hier, les Juifs doivent être unis : l’attrition de la communauté est un vrai problème.
Le problème majeur, le combat prioritaire aujourd’hui est celui de l’assimilation.
Nous assistons à une diminution quantitative inquiétante des Juifs de France.
D.R. : Serait-ce à cause d’un déficit des structures communautaires ?
J.Z. : En tous cas, nous devons êtres plus attractifs, réfléchir à la manière de garder nos coreligionnaires avec nous.
Il y aussi une attrition quantitative : certes, nous avons de grands penseurs, mais qui porte la parole des intellectuels juifs en France ?
Il faut un espace où puisse s’exprimer les différentes paroles juives ; ce devrait être la vocation du CRIF.
Quand je parle d’attrition qualitative, c’est versus la communauté musulmane.
Il est important, de toute évidence, que cette communauté se structure, mais cette montée en charge de cette communauté ne doit pas se faire au détriment de la communauté juive.
D.R. : Pouvez-vous me citer, concrètement, des actions culturelles au CRIF ?
J.Z. : La culture nourrit la politique. Il y eut des débats, oui, des rencontres, ne serait-ce que la convention aux Pyramides de Marly, le 19 novembre 2006, où il y eut 700 personnes venues assister à une journée entière de réflexion.
Le CRIF a vocation à représenter politiquement la communauté mais aussi à être un lieu de débats et d’idées.
D.R. : Lorsque des représentants du CRIF rencontrent des membres de l’UOIF (Union des Organisations Islamiques de France), cela suscite t-il en vous une pointe de scepticisme ?
J.Z. : Le CRIF a vocation à rencontrer toutes les organisations démocratiques.
En ce qui concerne l’UOIF, je serais plutôt réticent. Lorsque le CRIF a rencontré l’UOIF, elle avait un discours différent que celui qu’elle tient actuellement.
A l’époque, Arafat aussi était fréquentable, c’est ensuite qu’on s’est rendu compte qu’il tenait un double langage.
D.R. : L’ennui, c’est que le CFCM (Conseil Français du Culte Musulman), c’est aussi l’UOIF...
J.Z. : Le CFCM, ce n’est pas que l’UOIF.
Vous avez chez nous aussi des gens qui ont des attitudes extrémistes.
Si l’UOIF lève toute ambiguïté, je prendrai langue avec eux.
De la même manière, je me suis opposé à la présence de de Villiers au dîner du CRIF car je considère que son idéologie est délétère.
Quand il aura fait le tri autour de lui je pense notamment aux gens du parti de Bruno Megret peut-être deviendra t-il fréquentable.
D.R. : Je ne suis pas, loin de là , proche des idées de de Villiers. Reste qu’il n’a jamais été condamné...
J.Z. : Dieudonné, durant des années, n’a pas, lui non plus, été condamné...
D.R. : Il n’y a pas eu une tendance de la communauté à la villierisation ?
J.Z. : Je me porte en faux contre cette affirmation. D’ailleurs, je le dis de manière péremptoire : il n’y a pas de « vote juif ».
D.R. : Vous parliez d’affaiblissement quantitatif. Se constituer aujourd’hui en lobby, n’est-ce pas alors pour les Juifs une attitude suicidaire ?
J.Z. : Soyons clairs : Nicolas Sarkozy, depuis des années, donnes des gages d’amitié, de fidélité à la communauté juive et à Israë l, de la même manière que Bayrou ou Mitterrand hier.
Les Juifs vont se déterminer dans cette élection en tant que Juifs, par rapport à Israë l, mais aussi, bien sà »r, en tant que citoyens français.
D.R. : Je vais préciser ma question : étant donné le choc démographique découlant de l’immigration arabo-musulmane, la constitution d’un lobby juif n’est il pas une erreur ?
Et s’il n’y a pas de « vote juif », pourquoi convoquer les politiques à ce fameux dîner ?
J.Z. : D’abord, je ne suis pas dans une logique de lobby. S’il y a une tentation de se transposer sur le modèle américain, alors je le déplore.
Par contre, en tant que citoyen français et responsable communautaire, je pense que notre relation avec les hommes politiques ne passe pas forcément par le poids que nous représentons. Cela passe aussi, d’abord et surtout par nos valeurs, notre modèle d’intégration.
Nous devons continuer à délivrer notre message en relation aussi avec les autres communautés, arabo-musulmanes, chrétiennes, protestantes.
Je ne crois pas au choc des civilisations mais au dialogue des religions, chacun conservant son identité.
Par ailleurs, vous seriez surpris du travail du CRIF, des rencontres avec l’ensemble du personnel politique et de la société civile en dehors du dîner du CRIF.
Le moment du dîner du CRIF est sans doute un moment emblématique mais nous ne préparons pas pendant 364 jours le dîner du CRIF !
D.R. : Finkielkraut parle d’une espèce de « tribunal dînatoire ». Ne craignez-vous de voir apparaître, sur ce modèle, un dîner des cyclistes puis un dîner des motards en colère, etc. ?
J.Z. : Je le vis de l’intérieur : il n’y a pas de convocation, c’est une invitation à un rendez-vous républicain et citoyen.
Ce n’est pas, cela dit, un évènement politique majeur. Il faut raison garder : je suis profondément démocrate, les hommes politiques viennent rencontrer des responsables communautaires, et il n’y a pas, je le répète, de convocation.
D.R. : Reprenez-vous à votre compte les propos de M.le Grand Rabbin conseillant aux Juifs de porter la casquette plutôt que la kippa, afin d’éviter les agressions ?
J.Z. : Sauf le respect que je lui dois, je pense que, dans le cadre d’une laïcité bien comprise, les Juifs de France doivent affirmer leurs valeurs, leur identité, leur être-juif.
Je ne suis pas, d’aucune façon, pour un marranisme juif !
Je veux que nous redevenions des Juifs fiers et la République est le cadre idéal de l’affirmation de nos valeurset dans le même temps, nous devons affirmer notre relation privilégiée, notre communauté de destin Lévinas parle de « communauté destinale » -à Israë l.
D.R. : Puis-je vous demander en vertu de quoi le CRIF pourrait se targuer d’être le seul représentant des Juifs de France ?
J.Z. : Mais le Président du CRIF n’est pas le roi des Juifs !
Je peux parler au nom des Institutions faisant partie du CRIF mais je ne suis pas dans un fonctionnement « impérialiste » : personne n’est obligé d’être en accord avec nos options.
Les pouvoirs publics aiment, certes, avoir des interlocuteurs mais je n’ai, quant à moi, jamais revendiqué, en tant que vice-président du CRIF, une parole représentant l’ensemble des Juifs de France.
D.R. : Comment expliquez-vous que depuis les années 30, il n’y ait pas eu de renouvellement du leadership des Juifs de France et notamment intégration du judaïsme nord-africain ?
J.Z. : Je considère que les institutions juives ne nous appartiennent pas. Alors, oui, la relève doit être préparée.
Pourquoi ai-je créé l’Institut Askénazi ? C’est un Institut dédié à la formation des cadres communautaires, car il est essentiel d’ouvrir notre leadership aux jeunes et aussi aux femmes, et de leur proposer une formation.
Il faut la formation, et les outils.
En ce qui concerne les séfarades, je n’ai jamais fait de différences entre quiconque, askénazes ou séfarades : on vote pour des idées, un programme, pas une ville ni une origine.
D.R. : Qu’est ce qui motive votre engagement communautaire ?
J.Z. : Mon éducation. Mes parents étaient très engagés.
Au départ, c’est la fidélité, ensuite, c’est un choix qui m’a convenu.
D.R. : Vous parlez toujours d’unité. N’êtes-vous pas inquiet par la polarisation de la communauté juive entre laïques et religieux ?
J.Z. : Je considère que le CRIF doit pouvoir aujourd’hui réunir toutes les associations juives.
D.R. : Même le Consistoire qui a quitté le CRIF, en 2004 ?
J.Z. : Si je suis élu, j’Å“uvrerais pour que le Consistoire revienne au sein du CRIF car c’est sa place naturelle.
Je souhaite que le Consistoire revienne.
Pour l’avenir des Juifs de France, je considère que nous devons, aujourd’hui plus que jamais, être unis.