Politique arabe de la France # posted by Emmanuel
lundi 7 novembre 2005
Quand, à la mi-octobre, Mahmoud Abbas est allé rendre visite à Jacques Chirac, il a abordé avec celui-ci la question de la construction par des firmes françaises du tramway de Jérusalem qui doit passer par deux quartiers de Jérusalem-Est, que les Palestiniens revendiquent comme faisant partie de leur future capitale.
Les compagnies françaises Alstom et Connex (filiale de Veolia, qui est une émanation de Vivendi) font en effet partie d'un consortium retenu par les autorités israéliennes en 2002 pour le projet de tramway de Jérusalem, Alstom devant fournir les rames et Connex assurant l'exploitation de la ligne. Le coût total du projet est estimé à 400 millions d'euros et le tramway devrait entrer en service en 2008. À la suite de ses entretiens avec le président de l'Autorité palestinienne, Chirac a promis « de regarder le problème soulevé».
Le Monde a décidé que les choses ne pouvaient en rester là et a décidé d'assurer le service après-vente des revendications palestiniennes. Dans son édition datée de samedi 5 novembre, trois semaines après la visite d'Abbas, il consacre un article à ce sujet. Rédigé par le correspondant du Monde à Jérusalem par intérim (le correspondant permanent ne travaille pas ce jour-là, peut-on imaginer) et intitulé "Le tramway de Jérusalem enchante le "business" et gêne le Quai d'Orsay", cet article ne contient aucun fait nouveau sur le sujet et constitue donc uniquement un rappel de ce léger "nuage" dans les relations franco-palestiniennes. À quoi peut-il donc bien servir? N'y avait-il rien d'autre à dire sur le Proche-Orient cette journée-là?
Alors que le Quai d'Orsay est empêtré dans l'affaire, très embarassante pour sa traditionnelle politique arabe, des mises en examen des anciens hauts diplomates Boidevaix/Mérimée (le "politique" et le "droit commun") dans le cadre du programme "pétrole contre nourriture", est-ce une façon pour le Monde de faire porter le regard sur un supposé nouveau penchant "pro-israélien" de la diplomatie française pour des intérêts de "business" bien compris et pour le plus grand malheur supposé de la cause palestinienne?
En outre, l'intérimaire propagandiste du Monde manque à son obligation professionnelle d'exposé exact des faits. Il écrit en effet :
Découvrant ce tracé, Nasser Al-Qidwa, le ministre des affaires étrangères palestinien, avait fait part de sa "vive préoccupation" aux autorités françaises.
Soyons sérieux, Nasser Al-Qidwa n'a pas "découvert" le tracé du tramway en octobre 2005 comme le prétend l'intérimaire. Le tracé est évidemment connu depuis le jour du dépôt de l'appel d'offres. Sinon, sur quelle base le consortium Alstom-Connex et son concurrent Siemens auraient-ils pu faire des propositions? Le tracé est évidemment une donnée primordiale dans ce type de projet et l'on sait au moins depuis fin 2002, au moment où Alstom-Connex ont remporté l'appel d'offres, que la ligne "traverse une zone d'habitation palestinienne pour rejoindre une colonie juive" (la Tribune du 29 octobre 2002). Prétendre que les Palestiniens ont "découvert" ce tracé à l'automne 2005 est donc un mensonge doublé d'une absurdité.
Le propagandiste ajoute :
Ce désaccord avait été soulevé lors de la visite du président palestinien, Mahmoud Abbas, à Paris, le 17 octobre. A cette occasion, Jacques Chirac avait promis à son homologue de se pencher sur le sujet. Depuis, le silence est total.
Faux. La position française a été clairement établie peu après. Le porte-parole du Quai d'Orsay précisait le 26 octobre :
La participation d'entreprises françaises à la construction du tramway de Jérusalem s'inscrit dans le cadre d'un marché international qui obéit à une logique commerciale. Leur participation à cette construction n'emporte à nos yeux aucune conséquence sur le statut de Jérusalem-Est. Notre position reste inchangée sur la colonisation en Cisjordanie et autour de Jérusalem?Est, qui est contraire au droit international.
Si l'article du Monde n'apportait rien à ce qu'on savait déjà depuis trois semaines (en lisant Libé par exemple, ici et là), et avait donc une valeur journalistique tout à fait nulle, et s'il était de surcroît bourré de contre-vérités, il n'en a pas moins remporté un bon succès d'audience. En fin de soirée dimanche, il occupait la deuxième place des "recommandés" des lecteurs de l'édition électronique du journal, qui lui préféraient quand même "Bush est un danger pour le monde entier" (titre entre guillemets, faut-il quand même préciser)... Et il avait été repris comme il se doit par des sites pro-palestiniens (ici et là, par exemple), toujours heureux de trouver dans le journal de référence de quoi nourrir leurs passions.
L'article conclut :
L'Autorité palestinienne redoute que la diplomatie française fasse le gros dos en attendant que la polémique s'essouffle.
Et le Monde entend bien contribuer, dans toute la mesure de son influence et de sa mauvaise foi, à ce que la "polémique" ne s'essoufle pas.