Développements dans le programme nucléaire iranien : double duperie iranienne et occidentale

Par : A. Savyon * | MEMRI Middle East Media Research Institute

dimanche 14 février 2010, par Desinfos

Ces derniers semaines, le programme nucléaire iranien se trouve au coeur des préoccupations politiques. Dans une interview télévisée diffusée le 31 janvier 2010, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a annoncé de but en blanc que l´Iran avait accepté l´accord d´échange d´uranium rejeté àplusieurs reprises depuis octobre 2009. Cette déclaration a été faite quelques jours apr ès l´annonce par les Etats-Unis du déploiement de systèmes de défense anti-missiles dans le Golfe.


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Toutefois, le 7 février 2010, Ahmadinejad a annoncé que l´Iran allait commencer àenrichir de l´uranium à20% et disposait désormais de la technologie laser. Le quotidien iranien Kayhan, proche du Guide Ali Khamenei, publie même un article affirmant qu´une fois que l´Iran aura entrepris d´enrichir de l´uranium à20%, l´Occident ne sera plus en mesure de l´arrêter dans sa progression et sera donc contraint de négocier un niveau supérieur d´enrichissement. [1]

Cette évolution de la situation révèle une double hypocrisie – de la part de l´Iran comme de l´Occident – vis-à-vis du programme nucléaire iranien. L´Iran, dans le cadre du TNP, a franchi une àune les étapes de la nucléarisation àvisée militaire, masquant ses véritables intentions. L´Occident présente pour sa part sa politique comme devant aider l´Iran, alors que ses mesures diplomatiques, et notamment l´accord d´échange d´uranium, sont en réalité destinés àentraver les progrès nucléaires iraniens. Cela accroît encore la méfiance iranienne.

Pourquoi l´Iran ne remettra pas ses 1200 kg d´uranium enrichi àl´Occident pour un enrichissement supplémentaire

Ces derniers mois, l´Iran a catégoriquement rejeté la proposition occidentale de lui fournir de l´uranium enrichi à20% pour son réacteur de recherche àTéhéran. [2] La raison de ce refus est que, conformément àla volonté des pays occidentaux, l´uranium remis serait en effet enrichi àun niveau plus élevé, mais serait parallèlement altéré de manière àne pouvoir servir un objectif militaire. Et cela, l´Iran ne l´a pas accepté.

Dans leurs déclarations publiques toutefois, les porte-parole iraniens ne mentionnent jamais ce point. Au lieu de quoi, ils répètent ne pas avoir confiance en l´Occident. Par exemple, le président du Majlis Ali Larijani a souligné, lors d´une conférence datée du 6 février àTéhéran, que l´Occident essayait de tromper l´Iran avec l´accord sur le nucléaire, mais que l´Occident devait savoir que l´Iran n´était pas dupe : « La vérité est que vous [Occidentaux] menez une sorte de tromperie politique afin d´écarter l´Iran de [son] uranium enrichi... Mais vous devez savoir... que les Iraniens ne sont pas naïfs. » [3]

Il convient de noter en outre que l´Iran n´a pas besoin de 1200 kg d´uranium enrichis à20%, ce qui représente la quantité fixée arbitrairement par l´Occident dans l´arrangement en question. Le réacteur de recherche de Téhéran ne nécessite que 30 kg d´uranium enrichi à20% pour ses opérations, quantité qui équivaut àenviron 400 kg d´uranium enrichi à5%. En outre, cette quant ité suffirait jusqu´àce que le réacteur cesse d´être opérationnel, dans environ une décennie.

La position de l´Iran est que si les pays occidentaux ne cherchent qu´àaider l´Iran, comme ils le prétendent, ils devraient tenir compte du fait que Téhéran n´a pas besoin d´enrichir plus de 400 kg d´uranium. Or l´Occident réclame de l´Iran plus de 1200 kg d´uranium, ce qui rep résente 75% de ses stocks d´uranium enrichi. Cette demande prouve que l´Occident entend préserver son hégémonie militaire nucléaire et empêcher l´Iran d´atteindre la capacité nucléaire militaire. C´est pourquoi l´Iran refuse catégoriquement de remettre ses réserves stratégiques àl´Occident.

La position présentée ces derniers jours par le ministre iranien des Affaires étrangères, Manouchehr Mottaki, se focalise sur le litige opposant l´Iran et les grandes puissances quant àla quantité d´uranium enrichi àun moindre n iveau que l´Iran pourrait remettre aux puissances occidentales pour enrichissement supérieur. Lors de la 46e Conférence de Munich sur la sécurité (5-7 février 2010), M. Mottaki a estimé que l´Iran pourrait accepter un arrangement, précisant que l´Iran et l´AIEA avaient déjàaccepté un accord nucléaire avec un pays tiers et qu´il ne restait plus qu´àdéfinir la date, le lieu et la quantité d´uranium que l´Iran allait confier. Toutefois, il souligne que « c´est l’Iran qui définira l´envergure [de l´échange], conformément àses propres besoins » et que « la quantité de combustible nucléaire [enrichi à3,5% que l´Iran acceptera de sortir de son territoire] sera fonction des besoins de l´Iran, et quand l´Iran annoncera quelle quantité aura été définie, l´accord pourra entrer en vigueur. » [4]

Néanmoins, un responsable iranien a confié àl´agence de presse iranienne Fars que l´Iran n´avait pas modifié sa position face àl´accord proposé lors de la Conférence de Vienne des 19-21 octobre 2009 - malgré les rapports de ces derniers jours faisant état d´un « adoucissement » de la position iranienne face àl´éventualité d´un accord nucléaire. [5] En outre, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a annoncé dans une interview sur la télévision iranienne que Téhéran ne s´opposait pas àun accord d´échange d´ur anium hors du sol iranien ; il n´a pas évoqué le point de litige entre l´Iran et l´Occident : la quantité d´uranium enrichi que Téhéran serait prête àlivrer. [6]

Ahmadinejad : J´ai ordonné un enrichissement d´uranium à20% ; nous avons la technologie laser

Ce faisant, dans un geste typique de la politique nucléaire iranienne, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a entamé une nouvelle phase de la lutte de Téhéran contre les superpuissances avec sa provocante déclaration du 7 février, par laquelle il annonce avoir déjàordonné le début de l´enrichissement d´uranium à20%, écartant ainsi la nécessité d´un dialogue avec l´Occident ou du respect de l´accord nucléaire. Lors de la conférence intitulée « Les succès de la technologie laser ir anienne », Ahmadinedjad a annoncé : « J´ai ordonné au directeur de l´Organisation iranienne de l´énergie atomique [Ali Akbar Salehi] de commencer àenrichir de l´uranium à20%, mais la voie du dialogue reste ouverte. » Il a ajouté : « L´Iran a atteint la capacité d´enrichir de l´uranium au moyen de la technologie laser, et avec cette méthode il est possible d´enrichir de l´uranium rapidement et efficacement, et àn´importe quel niveau - mais en fait nous n´envisageons pas d´y recourir. » [7] Il a ajouté : « Bien sà»r, si ces pays [les 5 +1] venaient ànous sans conditions préalables, la voie àun accord d´échange serait toujours ouverte. » [8]

Le lendemain, Ali Akbar Salehi, directeur de l´Or ganisation iranienne de l´énergie atomique, annonçait que, le 9 février, l´Iran allait entreprendre d´enrichir de l´uranium à20% àl´usine de Natanz, et a noté que, malgré sa capacité àenrichir de l´uranium àn´importe quel niveau, l´Iran préférait acquérir d´un pays étranger le combustible nucléaire nécessaire. En outre, il a déclaré que l´Iran allait construire dans l´année (entre mars 2010 et mars 2011) dix centres d´enrichissement d´uranium. [9]

Le quotidien conservateur Kayhan, proche de Khamenei, publie même dans un éditorial du 9 février que l´Occident a manqué l´occasion d´empêcher l´Iran de dépasser un enrichissement à5%, et qu´àla minu te où l´Iran aura entrepris d´enrichir de l´uranium à20%, l´Occident ne sera plus en mesure de stopper sa progression. Car alors, l´Iran n´acceptera pas de s´arrêter à20%, et les négociations porteront sur un enrichissement àun niveau supérieur. [10]

Il convient de noter que l´Iran possède 1600 kg d´uranium enrichi à5% (5% est le niveau autorisé par l´AIEA pour la production d´énergie ; le pays doit annoncer ses activités d´enrichi ssement et obtenir une approbation préalable). Toutefois, le pays Å“uvre activement pour enrichir plus d´uranium, bien qu´il n´ait pas d´usine ou de réacteur nucléaire nécessitant de telles quantités d´uranium enrichi pour pouvoir fonctionner. En outre, le réacteur de Bushehr, qui n´a pas encore commencé àfonctionner, ne nécessite pas d´uranium enrichi localement, car en vertu de l´accord que l´Iran a signé avec Moscou en 2005, Moscou fournit le combustible nucléaire nécessaire àson fonctionnement ; l´Iran le reçoit depuis 2007.

Dans ces circonstances, il est très curieux que M. Salehi, directeur de l´Organisation de l´énergie atomique iranienne, ait annoncé la construction par l´Iran de dix nouveaux centres d´enrichissement d´uranium ; cela signifie que l´Iran peut être suspecté d´enrichissement d´uranium àdes fins militaires.

Faiblesse de l´Occident dans le traitement du problème nucléaire iranien

A maintes reprises, l´Occident a appelé l´Iran àtenir compte de ses ultimatums, dont l´Iran sait bien qu´ils ne sont pas effectifs. Cette approche révèle au grand jour l´incapacité de l´Occident, et en particulier des Etats-Unis et de l´Europe, de traiter avec l´Iran sur les questions vitales relatives àla sécurité et la stabilité mondiales.

La réticence de l´Occident àreconnaître publiquement que le « marché » qu´il propose ne vise pas véritablement àaider l´Iran, comme il le prétend, mais àempêcher l´Iran d´utiliser l´uranium enrichi àdes fins militaires, ôte àl´Occident toute crédibilité face àTéhéran.

* A. Savyon est directrice du projet sur les médias iraniens.
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Notes :
[1] Kayhan (Iran), 9 février 2010.
[2] Il convient de rappe ler que les pourparlers de Vienne d´octobre 2009 n´ont pas donné lieu àun accord. L´Iran a affirmé que les pourparlers ne portaient même pas sur l´avenir de son programme nucléaire, mais sur sa demande d´acquérir de l´uranium enrichi à20% pour l´exploitation de son réacteur de recherche de Téhéran. Voir l´Enquête et analyse n ° 557 et n° 564 du MEMRI pour plus d´informations sur le sujet.
[3] Al-Alam (Iran), 7 février 2010.
[4] ILNA (Iran), 6 février, 2010.
[5] Fars, Iran, 6 février, 2010.
[6] Fars (Iran), 6 février, 2010.
[7] ILNA (Iran), 7 février 2010. La site présidentiel officiel d´Ahmadinejad le cite en ces termes : « Aujourd´hui, nous pouvons fièrement annoncer que les scientifiques et experts de notre pays repoussent les frontières de la connaissance dans le domaine du laser, et peut-être n´y a-t-il qu´un seul pays qui nous a préc� �dés [dans ce secteur] ; il nous faut réduire cet écart rapidement en redoublant d´efforts... L´enrichissement d´uranium par laser permet d´enrichir diverses quantités d´uranium avec une grande précision et àune grande vitesse pour une qualité appropriée. Bien sà»r, l´Iran n´a pas véritablement l´intention d´utiliser la technologie laser dans ce domaine, et avec la grâce de Dieu, nous allons commencer àenrichir de l´uranium à20% àl´aide des centrifugeuses qui existent déjà, et nous n´aurons besoin d´aucune [aide extérieure] », site de la présidence iranienne (Iran), 7 février 2010.
[8] Fars (Iran), 7 février 2010.
[9] ISNA (Iran), 8 février 2010. L´agence de presse iranienne ILNA rapporte, citant Al-Jazeera, que l´Iran a informé l´AIEA qu´il commençait àenrichir de l´uranium à20% dans l´usine de Natanz. IRLA (Iran), 8 février 2010.
[10] Kayhan (Iran), 9 février 2010


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