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Les émules d’Enderlin à un doigt de l’accusation de crime rituel
Par Ilan Tsadik © Metula News Agency
Article mis en ligne le 27 février 2004

Avec la participation à l’enquête de Sami el-Soudi et de Stéphane Juffa
Comme si ce genre de choses ne suffisait pas à raviver la peste antisémite

Branle-bas de combat mercredi et jeudi à la Ména, pour faire la lumière sur le scoop vu à l’émission de Thierry Thuillier, le responsable des informations internationales à France 2 et de Patrick Boitet, « Un œil sur la planète ». Ce lundi, l’émission était intitulée : Israël : Questions interdites. A Métula, on a été surpris, comme vraisemblablement des centaines de milliers de téléspectateurs, par ce qui semblait être un scoop pris en flagrant de tournage, où on nous invitait à imaginer - l’image est en effet était indéchiffrable - que des soldats israéliens venaient d’abattre (à nouveau ?)trois enfant palestiniens. Selon l’interviewée, madame Yvonne Mansbach, de l’association Mahsom Watch, dont on pourrait traduire le nom par Les surveillants des barrages, ces trois enfants étaient coupables d’avoir « donné un coup de pied dans la barrière ».

La scène se déroule près du check-point de Kalandia, à proximité de Ramallah. Dans la zone du reportage, le fameux mur de séparation est en fait constitué d’une double rangée de barbelés qui jouxte la piste de l’aéroport de Jérusalem - zone militaire interdite - investi par les soldats israéliens mais hors service des suites de l’Intifada. La caméra montre au téléobjectif un camion, duquel descendent trois soldats. L’un d’entre eux pointe son fusil en l’air. Il n’y a aucun manifestant sur l’image. La voix-off ne correspond pas à l’image : « un véhicule militaire s’approche et des soldats se déploient et très vite, sans sommation ils tirent (sic). Balles en caoutchouc ou balles réelles, » s’interroge le commentaire ? « Mais cela provoque la colère de Yvonne Mansbach qui appelle (sur son portable) l’état major » (de l’armée israélienne) pour décrire la situation (les 3 soldats sont dans l’entre-temps remontés dans le camion, le téléspectateur n’a pu distinguer à l’image ni tir de balles réelles, ni de balles en plastic).

Par souci de précision (c’est notre pathologie principale à l’agence) je veux transcrire ici intégralement des passages de ce que déclare madame Mansbach au micro de Thierry Thuillier :

(…) « une situation impossible ; quand ils ont vu les enfants se rassembler sur la colline les soldats ont dit maintenant on va passer un bon moment, ils m’ont dit ça, » insiste-t-elle ; "ensuite ils ont couru jusqu’à la clôture, se sont postés là et ont tiré directement sur les gamins.

Trois gamins sont morts comme ça, à cet endroit ! J’ai appelé le Porte Parole de l’armée, je lui ai raconté ce qui s’est passé, il m’a dit

  • Est-ce que les gamins s’en sont pris à la clôture ?
  • J’ai répondu un coup de pied dans une clôture, ça justifie qu’on leur tire dessus ?
  • Non. je veux savoir ce que vous avez vu, s’ils ont tapé dans la clôture ? " (…)

    Thuillier demande alors à madame Mansbach de développer son sentiment. Suit, dans le reportage de France 2, l’appréciation politique de l’interviewée qui n’a pas retenu notre attention dans cette enquête à caractère exclusivement factuel. Mais pendant que madame Mansbach s’exprime, la tuerie semble se poursuivre en arrière plan et elle s’interrompt pour témoigner à nouveau en live : « Vous voyez ! Ils continuent de tirer. Le soldat avance vers la clôture, il tire et ça lui fait plaisir ! »

    Le journaliste de la grande chaîne publique renchérit : «  Mais vous savez que la plupart des gens en Israël aujourd’hui sont d’accord avec ça ? » De cette question, suivant le contexte filmé et sonore, le téléspectateur n’a que le loisir de comprendre que le soldat israélien est en flag d’assassinat de trois enfants palestiniens ayant donné un coup de pied à la barrière et qu’il prend du plaisir à pratiquer cet homicide. Et pour le surplus, les 5 téléspectateurs français que j’ai interrogés ont compris, comme moi, que la plupart des Israéliens soutiennent ce genre de tir à l’enfant palestinien dans la joie. Après une analyse détaillée du dialogue et de la situation, il me semble d’ailleurs qu’il est impossible de comprendre autre chose.

    Plus loin, commentant le témoignage à (très) chaud de la représentante de Mahsom Watch, Thierry Thuillier fait encore le commentaire suivant : « Une liberté de parole, une révolte qui ne trouve que peu d’écho dans l’Israël d’aujourd’hui. Cet incident est tellement commun, qu’il ne fait pas une ligne dans la presse d’Israël. » Il parle d’un incident (le téléspectateur ne peut en aucun cas comprendre autre chose) durant lequel les soldats de Tsahal assassinent de sang froid trois enfants arabes, pour affirmer que la presse israélienne ne va pas s’y intéresser. A l’en croire, donc, l’assassinat de trois petits palestiniens serait devenu à ce point banal, qu’il n’intéresserait plus l’opinion publique israélienne.

    Avant de poursuivre en vous confiant les conclusions de notre enquête, je veux vous dire que, sous l’impulsion de notre rédacteur en chef, la Ména a vraiment mis le paquet sur cette affaire. Sami el-Soudi a mené l’enquête de terrain côté palestinien, votre serviteur en a fait de même côté israélien, pendant que Stéphane Juffa a passé des heures entières à harceler de questions les représentants de l’armée israélienne ainsi que plusieurs militantes de Mahsom Watch. Durant cette investigation, nous nous sommes même rendus dans les cimetières et dans les hôpitaux afin de vérifier sur site les témoignages que les uns et les autres venaient de confier à Juffa. En cette fin de journée, notre récompense consiste à pouvoir vous affirmer que nous avons acquis et recoupé suffisamment d’informations afin d’être en mesure de connaître avec une grande précision la quasi-totalité des éléments de cette affaire et de partager nos conclusions avec vous. Ne nous manque que le témoignage du journaliste de France 2, que notre rédacteur en chef a essayé en vain de joindre au téléphone et qui était censé le rappeler mais qui ne l’a pas fait. De toutes façons, et pour ne pas se passer d’aucun point de vue, le comité de rédaction de la Ména a décidé que Thierry Thuillier pourrait nous appeler quand il le désirerait et que ce qu’il a à dire serait fidèlement publié par notre agence.

    Allons, sans plus de préliminaires, directement au vif du sujet, en précisant encore que nous nous sommes volontairement limités à vérifier les éléments factuels du passage de l’émission dont je parle dans mon introduction et que : Israël : Questions interdites a abordé, parfois de manière intéressante, de nombreux autres aspects et témoignages de la situation. Il nous a semblé toutefois que le scoop dont il est question dans cet article, de par la violence de son argument, reléguait le reste de l’émission à un rang accessoire. L’accusation portée contre l’armée israélienne d’abattre gaiement les adolescents palestiniens rompt tous les équilibres. S’agissant d’un crime de guerre, sadique et gratuit, le téléspectateur équilibré ne peut que haïr ces monstres issus de ce peuple monstrueux « qui est d’accord avec ça ». Le reste n’a pas vraiment d’importance.

    A notre tour d’apporter quelque éclairage sur ce que France 2 a montré à ses téléspectateurs. Pour dire d’abord que le scoop qu’ils sont sensés voir dans le reportage n’a pas eu lieu. Durant l’entrevue avec madame Mansbach, les soldats qui apparaissent à l’écran n’ont tué ni blessé aucun Palestinien. Les faits ressortent des témoignages que nous avons recueillis auprès des Palestiniens de Kalandia eux-mêmes, de l’armée israélienne et également - cela c’est plus surprenant - des militantes de Mahsom Watch.

    Madame Ronnie Hamerman, l’une des leaders de l’association avec laquelle Stéphane Juffa s’est longuement entretenu, nous a précisé que sa collègue Yvonne Mansbach n’a jamais prétendu que l’armée israélienne avait tué troismanifestants arabes lors du même incident et que le jour de l’interview de Thuillier, aucune victime n’avait été déploréeaux abords du barrage de Kalandia. En fait, France 2 a induit par l’image et par ses commentaires le téléspectateur à penser qu’il assistait à l’incident dont Mansbach parlait durant l’entretien. Mansbach, quant à elle, faisait état d’un bilan de trois jeunes palestiniens qui auraient perdu la vie, lors de trois incidents distincts, dans cette zone et sur une période de dix mois. Ce qui est hautement critiquable, dans le film de Thuillier et Boitet, c’est qu’il n’existe strictement aucun repère permettant au spectateur de percevoir le véritable témoignage de l’interviewée, d’où l’impression d’assister en direct à un assassinat.

    Sans vouloir nous mêler des affaires internes de FR2, il nous semble ici, que dans le contexte des tensions communautaires extrêmement nerveux dans l’Hexagone, cette « confusion entretenue » par les auteurs de l’émission est autrement plus dramatique que l’affaire Juppé. D’autre part, la facilité qu’a la chaîne d’Etat française de montrer de faux meurtres d’enfants arabes par des soldats juifs a quelque chose d’éminemment inquiétant, tout autant que les conclusions que les journalistes tirent de leurs propres impostures. Il s’agit de montages qui ne vont pas sans rappeler les accusations de meurtres rituels de nourrissons chrétiens par les Israélites à l’époque tsariste.

    En affirmant que « Mais vous savez que la plupart des gens en Israël aujourd’hui sont d’accord avec ça », Thierry Thuillier stigmatise en fait les Israéliens parce qu’ils ne s’émeuvent pas d’un non-événement qu’ils ne peuvent évidemment pas connaître, parce qu’il vient de le mettre en scène. Il n’y a non plus, et nous sommes en mesure de l’affirmer sans le moindre des doutes possibles, aucun Palestinien qui ait jamais été abattu par un militaire israélien pour avoir « donné un coup de pied à la clôture ». L’expression utilisée par madame Mansbach était une hyperbole, qui signifiait, qu’à son sens, ces jeunes avaient perdu la vie pour des peccadilles.

    Ce sur quoi l’avis des sources militaires israéliennes qui se sont prêtées à notre questionnement diffère diamétralement. Prenant l’un des cas évoqués par Mahsom Watch et à propos duquel Ronnie Hamerman admet franchement qu’aucun membre de son association n’a assisté, on peut à tout le moins s’étonner de la caricature extrême qu’en a fait Un œil sur la planète. Très honnêtement, les officiers de la Brigade Binyamin, en charge de la région, ont l’air de tout sauf de sadiques qui prennent leur pied en tuant des enfants. Ils me dépeignent les événements qui ont conduit au décès d’un jeune Palestinien, le 14 septembre dernier, d’une manière qui n’a pas le moindre lien avec le para journalisme de France 2. Ce jour-là, un groupe de Palestiniens, détruisant la clôture, pénètre dans le périmètre interdit de l’aéroport (on est assez loin d’un coup de pied dans la barrière). Des soldats qui se trouvaient sur place ont intimé l’ordre aux intrus de cesser toute progression. Constatant que les personnes ne s’étaient pas arrêtées, les soldats ont tiré un coup de semonce en l’air puis, n’obtenant pas plus de résultats, ils ont visé les individus aux jambes, comme le prévoit leur code d’intervention. Un jeune Palestinien a été blessé par cette seconde salve, ce sur quoi les soldats ont immédiatement fait appel à un groupe d’intervention médical ainsi qu’à une ambulance du Croissant Rouge palestinien. Dans l’attente des secours, les hommes du détachement ont pratiqué la respiration artificielle sur le blessé mais en vain.Un médecin militaire arrivé sur place a prononcé le décès du jeune homme et sa dépouille a été remise au personnel du Croissant Rouge. Une enquête afin de vérifier les circonstances de l’incident est en cours, ainsi qu’une investigation de la police militaire. La victime avait douze ans, elle s’appelait Ahmed Abou Latifa.

    Dans un autre cas de décès cité par Mahsom Watch, le seul auquel ont assisté des membres de l’organisation, Aya Kanyuk et Adi Dagan ont vu, le 28 mars dernier, des soldats ouvrir le feu en direction d’émeutiers qui jetaient des blocs de pierres sur la clôture. D’après le témoignage de Adi Dagan, que nous avons recueilli, les militantes n’ont pas distingué de blessés mais elles ont vu une ambulance palestinienne s’arrêter vers le village le plus proche de l’aéroport, jusqu’auquel les soldats israéliens avaient poursuivi les fauteurs de troubles. D’après Adi, un médecin de l’hôpital de Ramallah, en qui elle a toute confiance, l’aurait ensuite informée du décès de Omar Matar, âgé de 14 ans.

    Infirmant radicalement l’affirmation de Thuillier, selon laquelle la presse israélienne passait sous silence ce genre d’incidents (pas une ligne !), Adi Dagan a publié un long témoignage sur le quotidien à grand tirage Haaretz et le journaliste Guidon Lévy, qui y possède une chronique permanente, a écrit un article poignant au sujet d’Omar Matar, intitulé « Le décès de l’enfant numéro 411 ».

    Selon nos sources militaires originaires de la Brigade Binyamin, qui recoupent en cela les rapports de Mahsom Watch, des manifestations violentes se déroulent à proximité de l’aéroport de façon quasi quotidienne. Selon les militaires, plusieurs membres des forces de l’ordre ont été blessés durant ces incidents et les dégâts causés par les jeunes, âgés de 12 à 20 ans, se chiffrent par dizaines de milliers de Shekels. Toujours d’après ces sources, les enfants du camp de réfugiés de Kalandia sont manipulés de façon cynique par des agitateurs liés à l’Intifada. Certains jeunes, subissant un interrogatoire après avoir été appréhendés, ont avoué aux soldats avoir été payés afin d’effectuer provocations et destructions. Pour les militantes de Mahsom Watch il s’agirait plutôt d’un jeu innocent auquel s’adonnent ces adolescents oisifs de la Guerre des pierres.

    Sami el-Soudi a passé quelques heures en compagnie des gamins du camp. Il leur a demandé si quelqu’un les envoyait se frotter aux soldats ? Ils lui ont répondu « akhianan », parfois. Parfois on nous fait de petits cadeaux mais on n’a pas besoin de ça, on fait la guerre. Notre collaborateur leur a ensuite demandé s’ils savaient qu’ils risquaient leur peau en pratiquant ces activités et que ça ne changeait rien au cours des choses ? Un gosse de 12 ans au plus lui a répondu que « ça servait à devenir shahid ». Sami leur a enfin demandé ce qu’ils seraient prêts à faire s’il leur donnait un shekel à chacun ? Ils n’ont pas attendu les pièces et sans que notre collaborateur ait les moyens de les arrêter, ils lui ont montré… Ils ont allumé un pneu et l’ont fait rouler en direction des barbelés. Ils ont aussi fait rouler un vieux réservoir d’eau chaude en direction des soldats et ont balancé des blocs de béton dans la même direction.

    Côté israélien, les militantes de Mahsom Watch, présentes chaque jour aux barrages, persuadent l’armée de se contenter d’utiliser des grenades lacrymogènes. « C’est suffisant pour faire déguerpir ces terroristes », prétendent-elles avec aplomb. C’est ce que nous faisons en général répondent les soldats, sauf lorsque les choses deviennent parfois plus sérieuses. La question d’un usage non proportionné de la force se place d’ailleurs au centre d’un nouveau débat. Des observateurs du gouvernement américain en font le grief aux Israéliens dans un rapport circonstancié qu’ils ont envoyé hier à Washington.

    La question est toute en nuances. Pas facile de déterminer, lorsque des enfants, à peine plus âgés, font sauter des autobus à Jérusalem ou à Haïfa où se trouve la juste mesure. De toutes les façons, ce débat crucial n’a rien, mais absolument rien à voir avec la caricature de reportage présentée aux Français par France 2. La population d’Israël s’intéresse d’ailleurs de très près à ce débat et de plus, elle est très bien informée. Elle.


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