Par leurs choix des images qu’ils transmettent, les médias de la planète jouent un rôle important dans le conflit au Proche-Orient. Victimisation et manipulation sont à craindre si l’information prend le risque de jouer avec l’émotion. L’affaire d’une photographie truquée qui fait actuellement le tour du monde soulève un vrai débat.
Avec le conflit actuel au Liban, les images de corps inertes et sans vie, ensanglantés, dans des débris d’immeubles en ruine circulent quotidiennement dans la presse internationale. Elles illustrent la tragédie et les conséquences de la guerre, mais attisent parfois aussi le sentiment d’exclusion. C’est le cas notamment pour ceux que le Daily News nomme « les oubliés du nouvel ordre international de l’information ». Comment comprendre la crise humanitaire au Sud-Liban « en ressassant quotidiennement les images de l’action militaire destructrice d’Israë l ? » s’interroge le quotidien sri-lankais.
Et, de fait, estime le quotidien conservateur espagnol ABC, « Israë l est en train de perdre la guerre dans les pages des journaux et sur les écrans de télévision du monde entier. Alors que tout un chacun le sait, plus personne ne se souvient des raisons qui ont mené à cette guerre et que ce fut le Hezbollah qui a tiré le premier et pourquoi. Chaque matin, la longue liste des pertes civiles libanaises et israéliennes nettoie la mémoire de l’opinion publique, qui ne voit pas plus loin que la colère provoquée par la frappe ennemie précédente, et ainsi de suite. Et l’armée la plus puissante est toujours présentée comme celle qui devrait faire preuve de mesure et de proportionnalité. »
Ce qui amène les médias israéliens à évoquer un « lynchage médiatique », qu’ils considèrent comme une « inégalité morale ». Pourtant, signale Gideon Rachman dans le Financial Times, « certains estiment qu’on accorde plus de bienveillance à un Etat démocratique qui combat un ennemi impitoyable qu’à la population libanaise, dont le nombre de victimes est vingt fois plus élevé que du côté israélien ».
Pour le quotidien britannique, « les deux parties ont raison : les Arabes ont raison de dire que les morts israéliens comptent plus pour les médias occidentaux que les morts arabes, et les Israéliens ont également raison de se plaindre que le monde se focalise essentiellement et sans relâche sur les victimes de l’action militaire de Tsahal ».
Le débat a notamment été relancé après la découverte faite par des bloggers de la modification d’une photographie prise après un raid aérien israélien sur Beyrouth[**]. Adnan Hajj, un photographe indépendant travaillant régulièrement avec l’agence britannique Reuters, aurait traité une de ses photos et assombri une colonne de fumée provoquée par une explosion « pour rendre l’image plus suggestive », indique le quotidien italien La Repubblica.
Selon The Guardian, l’agence de presse Reuters a retiré de sa banque de données toutes les photos prises par ce photographe « après qu’il eut été prouvé que le photographe libanais avait modifié non pas une mais deux images sur les 43 qu’il avait transmises directement à la compagnie britannique depuis le début du conflit ». Reuters a annoncé qu’elle se passerait désormais des services d’Adnan Hajj, car « manipuler une photographie dans ce sens est inacceptable et contraire à tous les principes de l’agence. Cela nuit non seulement à notre réputation mais aussi à celle de tous nos photographes », affirme l’éditeur de l’agence Tom Szlukovenyi dans le quotidien britannique. Il est pourtant à noter que l’ensemble de la presse mondiale traite couramment des images avec des logiciels pour créer des effets spéciaux ou accentuer des effets. Mais, en toute déontologie, cela ne doit pas se faire dans des conditions aussi sujettes à polémique et à manipulation qu’une guerre.
Le quotidien suisse 20 Minutes évoque de son côté l’histoire d’un sauveteur libanais, « membre d’un groupe de propagande du Hezbollah » et « qui a été vu dans tous les lieux où se trouvent des enfants morts »[***]. L’homme en question a effectivement été photographié à différents endroits, vêtu de différentes manières et portant en revanche le même enfant mort dans ses bras. Le quotidien suisse publie d’ailleurs ces photos en indiquant pour certaines l’heure et le lieu où elles ont été prises.
Et, dans le quotidien tchèque Lidove Noviny, Ondrej Neff considère que ces falsifications révèlent l’existence d’une « ligne de front invisible ». « Les images truquées montrent que la guerre se déroule aussi sur le plan médiatique. Israë l combat sur plusieurs fronts contre un ennemi qui veut l’anéantir et le rayer de la carte - et ce depuis le premier jour de son existence. Un de ces fronts est médiatique. Ne nous faisons pas d’illusions : cette guerre passe aussi par nos médias. »
[**] http://www.aish.com/movies/PhotoFraud.asp (en anglais)
[***] http://eureferendum.blogspot.com/ (en anglais)
Et bien sà »r le zapping sur : http://www.cid-online.be/