La semaine dernière, le Vieux a eu cette formule révélatrice, en pleine réunion publique du parlement palestinien : « Démocratie… il y une limite à ce qu’on peut m’imposer de faire à cause de la démocratie ! »
Si j’étais un journaliste vraiment courageux, je m’en tiendrais là et je clôturerais mon article sur cette unique citation, laissant au lecteur le soin d’imaginer ce que peut être la vie d’un peuple sous un énergumène professant une proto culture politique de ce genre.
Ce que les membres du Conseil Législatif Palestinien (CLP) réclamaient du vieil ogre, c’est qu’il émette un décret présidentiel provisionnant deux mesures d’urgence : Un remaniement ministériel et le transfert de deux des trois services de sécurité de l’Autorité au ministre de l’intérieur, soumis lui-même à la tutelle exclusive du premier ministre.
Faut-il préciser que la signature réclamée par les députés correspond précisément à l’engagement pris par Yasser Arafat envers la présidence égyptienne ? Convaincre le reclus de déplacer la botte qu’il maintient sur la tête de tous les Palestiniens avait déjà nécessité d’immenses pressions internationales, le renforcement du statut de Mohamed Dahlan ainsi que des palabres infinies, ponctuées d’envolées hystériques fréquentes de la part d’Abou Ammar.
Volte-face numéro 317 - je vous avais prévenus que ça allait se passer de cette manière, souvenez-vous ! - Arafat refuse de signer. Il a dit « que l’Autorité Palestinienne avait fait certaines erreurs », ajoutant rapidement que « tout le monde faisait parfois des erreurs » et il prétend que cela suffit. Le parlement n’a qu’à endosser son discours et le gouvernement « faire ce qu’il se sent en droit de faire ».
Les députés sont revenus à la charge, la semaine dernière, en nommant un comité de quatorze de leurs membres, censé négocier avec Arafat la rédaction d’un décret utilisable afin de permettre au gouvernement et aux tribunaux de prendre les mesures pratiques, urgentissimes, pour mettre en place les réformes et tenter d’endiguer la gangrène de la corruption.
L’un de mes amis, faisant partie de ce comité des quatorze, m’a confié que lors d’une rencontre avec le Vieux, celui-ci a été pris soudain d’une sorte de transe, qu’il les a expulsés de son bureau tout en les insultant, en les menaçant de les pendre, en leur crachant dessus et en les molestant.
« Il nous a appelés ’agents de Sharon et envoyés de Moubarak et de Bush’ », m’a assuré mon ami. « Ses yeux sortaient de leurs orbites, il jouait au fou ! »
Mais cette fois, personne ne lâche de mou : Réunis hier à nouveau en séance plénière, le CLP a approuvé les recommandations du comité des quatorze, par 31 voix contre 12. « Si Arafat ne paraphe pas le décret, nous allons tous démissionner », m’a dit un autre député. Et un troisième a affirmé publiquement « qu’on ne combattait pas la corruption avec des mots et des discours mais avec des lois et des décrets ».
Le général Omar Suleiman, le chef des renseignements égyptiens, jugeant que le reclus lui avait menti, a coupé tous les ponts avec lui, engageant les Européens et les Américains à suivre son exemple, « jusqu’à ce qu’Arafat respecte les engagements qu’il lui a faits ».
Le Premier ministre Ahmed Qoreï a « gelé toutes ses activités ».
Pendant ce temps, pour ne rien arranger aux affaires d’Arafat, sa campagne de diversion visant à mettre la pression sur les Israéliens, par le déclenchement de la grève de la faim des prisonniers sécuritaires détenus par les Hébreux, a déjà fait long feu. Les manifestations de soutien organisées dans les territoires par l’OLP n’ont pas déplacé les foules et les images diffusées par Jérusalem des détenus - dont Marwan Barghouti - en train de manger, ou de dissimuler des vivres, ont fait capoter l’affaire. Ce qui préoccupe réellement la rue palestinienne, aujourd’hui, c’est le rétablissement de l’ordre et de la loi, la possibilité de se nourrir et la fin des privilèges démesurés dont disposent les ministres et les proches du raïs.
Par contre, Arafat a rencontré par trois fois, ces derniers jours, son pire ennemi, l’option à sa succession des coalisés, Mohamed Dahlan. Le résidant forcé de la Moukata avait, dans un premier temps, tout fait pour repousser chaque entretien prévu aux Calendes grecques et chaque fois à la dernière minute.« Il lui a fait le coup au moins cinq fois, de façon très humiliant pour Dahlan » m’a rapporté un employé de la Moukata, « puis il nous a dit qu’il valait mieux rencontrer le diable que ses émissaires et il a ouvert sa porte à Dahlan ». La première rencontre fut glaciale, l’ex chef de la Sécurité Préventive, licencié par Arafat, se contentant de répéter à son hôte les conditions de l’ultimatum international ainsi que son intention de prendre le contrôle absolu de Gaza, si le Vieux ne s’exécutait pas.
Maintenant, il est question de nommer Dahlan au poste de ministre de l’intérieur, d’où il contrôlerait les appareils de sécurité. Dahlan consulte Suleiman et les advisers de la CIA. On craint une nouvelle entourloupe, de nouveaux délais. Et c’est pour cela que le Vieux ne signe pas le décret, « sinon il n’aurait plus rien à vendre », m’éclaire un camarade de l’entourage de Dahlan.
Les discussions s’étant mises à traîner, à l’initiative d’Arafat, un commando de Dahlan a agressé hier (mercredi) - et volontairement laissé en vie - le numéro 1 par intérim des forces du raïs à Gaza, le général Tarek Abou Rajab. Ils ont tué ses deux gardes du corps et sérieusement abîmé le familier d’Arafat, au point qu’il se trouve toujours aux soins intensifs de l’hôpital d’Ashkalon en Israë l. Histoire de faire comprendre à l’ogre qu’on a besoin de lui uniquement à titre symbolique et qu’on fait déjà ce qu’on veut sur le terrain.