Ancien premier ministre franais, rapporteurdu Parlement europen sur Ç les rformes au monde arabe È,
Al-Ahram Hebdo : Quelle est la raison devotre visite au Caire ?
Michel Rocard : Je suis en Egypte en mission avec mes troiscollgues, dputs europens du groupe socialiste. Nous sommes soucieux de lapaix dans la rgion et je suis charg dĠun rapport sur les relations entrelĠUnion europenne et le monde arabe. Vue de lĠUnion europenne, cette partiedu monde, nous la dcoupons en tranches. Nous faisons trs attention nosrelations avec la Palestine. Puis, lĠEgypte est un grand pays. Nous avons un groupe dĠamitientre le Parlement europen et lĠEgypte. Il y a naturellement des travaux surlĠIraq et un peu sur la Jordanie. Nous nous intressons galement au Maghrebcar les relations avec cette rgion sont dominante conomique et commercialeet sont maintenant de la responsabilit du Parlement europen. Et nous noussommes aperus que nous ne posions jamais la question de savoir si nous avionsaccord de lĠimportance au fait que ces pays sont avant tout des pays arabes.Et nous sommes venus chercher la rponse cette question.
— Vous tes galement charg dĠunrapport sur la question des rformes au monde arabe. Que pouvez-vous nous diresur ce sujet ?
— CĠest le mme rapport, dont le titre est ÇLes relations entre lĠUnion europenne et le monde arabe È. DĠabord, jĠaimeraistre clair que le temps de la colonisation est fini et jĠai une parfaiteconscience dĠappartenir un pays trs arrogant. Je ne suis venu donner deconseils, personne. Sur le problme des rformes dmocratiques dans le mondearabe, il sĠagit pour nous dĠabord de comprendre pourquoi elles chouent. Nousnous demandons comment mieux aider et dans la rponse cette question, nous nousposons la sous-question, qui est de savoir si, en parlant de lĠEgypte, de laJordanie ou de lĠAlgrie, cĠest de nul intrt ou grand intrt de considrerque ces pays sont dĠabord arabes. Et on ne sait pas grand-chose car vous-mmes,peuples arabes, vous ne nous en dites pas beaucoup.
— Les gouvernements arabes rtorquentsouvent aux demandes internes et aux pressions extrieures pour introduire desrformes politiques, que lĠapplication de ces dernires amnerait au pouvoirdes courants islamistes obscurantistes. DĠo leur refus dĠacclrer la mise enplace des rformes dmocratiques. QuĠen pensez-vous ?
— Je viens ici surtout pour comprendre cettequestion. Je nĠaimerais pas conclure avant dĠavoir bien tudi la situation.Mais sur cela, je peux dire que la question que nous devons nous poser dans lesprsentes circonstances est celle de savoir si la dmocratie nĠa quĠunevariante, qui est la manire de faire des Etats de lĠEurope occidentale et desEtats-Unis dĠAmrique. Ceci nĠest pas sr. JĠai dĠautre part appris en Afriquenoire que quand les pays dvelopps donnent de manire paternaliste desconseils aux pays moins dvelopps dĠappliquer nos recettes, et que lĠon sersume aux lections pluralistes, beaucoup de pays dĠAfrique essayent de faireplaisir lĠOccident en recopiant ce que nous faisons, cĠest--dire, la mise enplace des lections pluralistes formelles. Mais on continue sĠentre-tuer eton continue arrter des journalistes. CĠest pour cette raison que jĠen tirela conclusion quĠavant de toucher aux mcanismes du pouvoir, il serait prudentdĠassurer dĠabord les liberts publiques. Je veux dire par l crer dessocits o lĠon prend lĠhabitude de respecter les droits de lĠhomme et lalibert dĠexpression, o la police est contrle par la justice, o la justiceest indpendante, o on ne torture pas, o il est possible de concrtiser unediffrence dĠopinion sur quelque chose qui se passe au pouvoir. On peut ensuitetrancher ce processus par des lections, et ensuite seulement.
Il y a beaucoup de pays o si le pouvoir faiblit unpeu sur le plan de la police, on voit paratre des opposants rvolutionnairesprnant un discours violent et totalitaire. Donc dans ce cas rassurer lescitoyens de base cĠest dĠabord maintenir lĠordre public. Et cela fait partie dudilemme de tous les gouvernements arabes. Je rflchis autour de lĠide desavoir sĠil ne faudrait pas inverser les priorits du Fonds MontaireInternational (FMI), en mettant la libert de la presse, lĠindpendance de lajustice et le contrle sur la police et ses bavures comme priorits avant deporter un jugement sur les mcanismes du choix du pouvoir. Nous sommes tousembarqus dans lĠordre inverse et je pense que nous sommes bloqus dans unemfiance mutuelle mal matrise.
— LĠEspagne, la France et lĠItalieont rcemment lanc une initiative de paix au Proche-Orient qui appellenotamment la tenue dĠune confrence internationale. Mais Isral a rejetcette initiative alors que Washington y a rserv un accueil glacial. PourquoilĠEtat hbreu exprime-t-il toujours de fortes rticences lĠgard desinitiatives europennes ?
— Les Israliens se sont surarms et enfaisant cela, ils font la mme faute que les Amricains, celle de ne pas avoircompris les leons de la deuxime guerre mondiale, car il nĠy a jamais rien debon attendre dĠune guerre. Et la force peut dtruire, elle ne peut jamaisrien construire, surtout pas la paix. Le fait dĠtre ivre de puissance etdĠtre seul lĠavoir, si vous nĠtes pas trs cultiv, enfant dĠune longuehistoire et grande pratique, vous allez toujours croire que vous pouvez imposervotre vision. Isral vit encore cette illusion, les Israliens sontprobablement dans la priode o ils sont en train de comprendre leurs limites.CĠtait Sharon le premier gnral qui sĠest retir de la bande de Gaza car ilne pouvait plus la tenir. Et malheureusement, la tragdie est que le peuplepalestinien, au moment o Isral se trouve accul, ne peut plus tenir cause duchmage et des conditions de vie insupportables. Il vit une crise humanitaire.Il a vot pour le Hamas qui ne reconnat pas lĠexistence dĠIsral et cause decela toute possibilit de ngociation reste bloque en ce moment.
Quant au rle de lĠEurope dans cette question, ilfaut dire que nous avons contribu ce que se ngocie ce partage de tcheslabor par ce quĠon appelait le Quartette (Etats-Unis, UE, Onu et Russie).Pour le moment, le Quartette limite son rle essayer que le conflit nesĠtende pas la rgion et moins encore au monde entier. Les propositionseuropennes sĠinspirent de cela. Mais videmment cela nĠira pas trs loin aussilongtemps quĠIsral nĠy croit pas. Reste que nous sommes toujours tenus parnotre partage de rles et dans celui-ci, cĠest lĠEurope qui pour 55 % financela communaut palestinienne. Et nous avons lĠimpression en faisant cela derendre un service, non seulement au peuple palestinien, mais mme lapossibilit de la paix.
— La crise actuelle au Liban estexacerbe par lĠintervention de diverses parties extrieures. Elle posenotamment le problme de la cohabitation entre dmocratie et confessionnalisme.Comment rgler ce dilemme ?
— Au Liban, il nĠy a aucun titre ce que desgens de lĠextrieur viennent se mler des affaires libanaises. Elles doiventrester entre les mains des Libanais et ceci est la fois leur chance etmalchance. Il y a une image historique du Liban qui est celle dĠun paradis devie collective, communauts religieuses multiples, organisant leur cohabitationreligieuse mme au niveau constitutionnel. Le prsidant tant un chrtien, lepremier ministre un sunnite et le prsident de lĠAssemble nationale un chiite.Si cet quilibre est bris, il y aura de la violence et du sang partout. Maisapparemment cet quilibre est fragilis et ne correspond plus ce qui se passepour le moment. Moi je dirais simplement que chaque communaut libanaise, quiveut changer un peu lĠquilibre, doit dire ce quĠelle veut, mais doit aussi, enmme temps, parler des garanties quĠelle offre aux autres. Mais quĠunecommunaut ne parle que de prendre une plus grande part du pouvoir sans sesoucier des autres, cela ne mnera quĠau combat.
— Nous sommes quelques mois deslections prsidentielles franaises dĠavril-mai prochains, o les candidatssocialiste et de droite, Sgolne Royal et Nicolas Sarkozy, semblent les mieuxplacs. Comment cette alternance politique pourrait-elle changer la politiquearabe de la France ?
— Il peut se passer beaucoup de choses. Si lacandidate socialiste gagne, il y a de fortes raisons de penser que la politiquedes sociaux-dmocrates europens continuera tre la ntre. Elle est de dire :si vous avez besoin de conseil dans lĠart de vivre ensemble, pour grer lĠeauen commun par exemple, on sait comment le faire. Nous sommes mmes experts enla matire. LĠexpertise europenne est mme norme l-dessus. Vous pouvezcompter sur nous, Europens, pour ne jamais favoriser une dcision excessivedĠun camp ou de lĠautre. Nous dfendons absolument le droit lĠexistencedĠIsral et sa scurit, mais nous ne dfendons passon droit se conduire en puissance occupante, cynique et brutale.
RandaAchmaw